Les neuf vies de chat de Jean-Pierre Beauviala
Editorial de Kees van Oostrum, président de l’ASC, pour l’"American Cinematographer"L’importance culturelle de la référence au chat dans ces colonnes est que lorsque Jean-Pierre Beauviala a présenté sa première caméra Aaton 16 mm, il l’a comparée à un chat sur l’épaule de l’opérateur et qu’à ce moment là les caméras n’étaient pas spécifiquement étudiées pour le travail à l’épaule.
A la naissance de l’industrie du cinéma, les frères Lumière ont conçu leur "cinématographe" comme une boîte en bois, carrée et plate. Pour les décennies à venir, le principe de la conception d’une "boîte" est resté largement en vigueur. L’Arriflex s’est écarté de ce concept, de même que le NPR d’Éclair conçu par André Coutant. Néanmoins, ces caméras n’étaient pas parfaitement équilibrées et une bonne dose de muscle était nécessaire pour les maintenir stables. Ainsi, lorsque Beauviala a présenté sa nouvelle caméra - un appareil qui peut chevaucher l’épaule de l’opérateur de manière à ce qu’il puisse presque rester stable tout seul sans aucun appui -, il a effectivement lancé les concepts d’équilibre et d’ergonomie appliqués au design des caméras.
Beauviala a fondé Aaton à Grenoble en 1971, après avoir travaillé comme ingénieur chez Éclair. Sous la direction de Beauviala, Aaton a développé une gamme de caméras de cinéma fiables et de petite taille, toutes produites conformément à la philosophie du "chat sur l’épaule". La caméra LTR 16 mm d’Aaton a été suivie par plusieurs autres modèles, notamment les LTR 54, XTR, X0, XTR Plus, XTR Prod et A-Minima, cette dernière étant une petite caméra reflex Super 16 avec un magasin de 60 mètres. Aaton a également fabriqué des caméras 35 mm très performantes, notamment la Penelope, qui peut être utilisée sur le terrain en 2-perfos et en 3-perfos.
Enfin, la société a développé la caméra numérique Delta. D’une conception évoluant à partir du remplacement du magasin de la Penelope par un enregistreur numérique, la Delta comportait l’un des premiers viseurs optiques en verre dépoli sur une caméra numérique, ainsi qu’un obturateur à miroir tournant pour éviter les artefacts du "rolling shutter ". La caméra fonctionnait avec un enregistreur SSD interne en CinemaDNG non compressé et résolution intégrale avec des proxys prêts pour le montage. Et, fidèle à la vision initiale de Beauviala, la Delta était légère dans la droite ligne de la philosophie originelle du "chat sur l’épaule".
Ce qui me laisse perplexe à ce jour, c’est que d’autres fabricants ont semblé adopter l’idée d’une caméra bien équilibrée, mais semble-t-il à contrecœur et jamais complètement. Oui, Arri a apporté des améliorations rapides avec les caméras SR à 416. Et à certains moments, Beaulieu et Bolex ont suivi. Mais personne n’a dérogé aux règles - ni à la caméra, d’ailleurs - aussi systématiquement qu’Aaton. Et maintenant, à l’ère des caméras de cinéma numérique, nous semblons être complètement dans le rétro. Soyons clairs, à l’instar de la boîte en bois des Frères Lumière, les caméras numériques sont des structures carrées, asymétriques et incomplètes.
Et à la place d’un travail efficace sur l’ergonomie, on a donné naissance à une industrie artisanale florissante composée d’épaulières, de supports flexibles, de sacs de haricots et d’autres engins.
Jean-Pierre Beauviala a toujours réfléchi autrement. En novembre, en reconnaissance de son travail novateur et de sa contribution durable à notre industrie, l’ASC lui a décerné un prix spécial. Comme le disait le proverbe : « Un chat a neuf vies. Pendant les trois premières, il joue, les trois suivantes il fait son trou, les trois dernières il s’y installe. »
Kees van Oostrum
Président de l’ASC
(Traduit de l’anglais par Richard Andry, AFC)
En vignette de cet article, chat sur l’épaule revisité, élément de publicité parue au moment de la sortie des premières caméras Aaton