Repas de tournage
par Diane BaratierRéponse sous forme de dialogues :
Cafer :
Peut-être ce sont les comédiens aujourd’hui qui parlent de moins en moins fort.
Diane :
Sur la séquence d’aujourd’hui pourtant il n’y avait pas de dialogues, c’était silencieux. Et je voyais dans la réserve du cadre le micro descendre de plus en plus dangereusement.
Jean :
Ça dépend des films, il y a des films où tu n’as pas besoin de venir coller au bord et des films où tu veux descendre toujours plus. Cela dépend des circonstances.
Diane :
Et pourquoi tu as besoin de coller au bord ?
Jean :
Quand j’ai envie d’entende la comédienne respirer.
Il y a un moment où j’ai dit à Erwan, mon perchman, de descendre un peu. Il est descendu de 8 cm, et cela faisait toute la différence. Le son qui était général sur l’action devenait proche de la respiration. C’est plus intéressant. Cela change tout car alors tu es avec sa pensée intime. Dans un autre cas, par exemple Madame G. écrit à quelqu’un, c’est le son de la plume qui va m’intéresser. C’est un peu bateau, mais néanmoins la façon d’écrire dit quelque chose sur la nervosité du personnage. Là, c’est une jeune fille qui écrit son journal intime. On lui a mis le mic pratiquement dans sa narine et on a ressenti sa solitude.
Diane :
Mais c’est un son qu’on pourrait rajouter plus tard.
Jean :
Il est plus juste en étant fait en direct.
Diane :
Est-ce que tu entendais les projecteurs aujourd’hui ?
Jean :
Le Joker 400 par exemple sur le plan dialogué était supportable car on a pu cacher un micro plus près. Et le micro plus large qui lui entendait le projecteur, je le mettais à un niveau très bas et j’avais peu de bruits de projecteur.
Si tu veux, en gros, plus tu as de bruits de projecteur plus tu es obligé de te rapprocher artificiellement des bruits pour donner à entendre ces sons sensiblement plus fort que les projecteurs. Tu descends ainsi le niveau des bruits.
C’est un peu comme si tu te retrouvais dans un studio et que tu enregistres de très prêt un bruit de verre. Le son est alors très fort. Tu le baisses artificiellement pour le ramener à un niveau normal et tu baisses automatiquement le niveau ambiant. Evidemment, cela ne marche pas toujours, d’une part quand tu ne peux pas mettre un micro au milieu de l’image, mais cela ne marche pas non plus si tu veux donner de l’air. Quand tu veux que les choses respirent naturellement.
Diane :
Comment expliques-tu que les projecteurs font plus de bruits qu’avant ?
Jean :
Je n’en sais rien, c’est absurde. Les caméras progressent, c’est super. Mais les fabricants de projecteurs ne tiennent absolument pas compte du bruit, sous prétexte que la technologie avançant, on a des filtres pour enlever les bruits après. Ce qui est absolument faux.
C’est vrai que le côté ultra-sophistiqué des auditoriums dont on pense que tout est possible accrédite l’idée que tu vas pouvoir enlever tous les parasites et les bruits de fond. Mais ce n’est pas vrai. Les gens qui travaillent dans le cinéma savent qu’au départ, les sons doivent être beaux. Tu ne peux pas enlever un buzz sans enlever de la finesse aux choses. Cela ne marche pas.
David :
C’est un problème avec le tungstène ou uniquement avec le HMI ?
Cafer :
Les projecteurs tungstènes posent beaucoup moins de problèmes sauf quand ils sont sur variateurs.
David :
Ce sont les ballasts qui sont gênants ?
Jean :
Non, les ballasts, ce n’est pas grave. Les électros apportent des rallonges. Ils les sortent. Cela les emmerde, c’est sûr que cela leur rajoute du boulot mais ils y pensent et ils tirent des fils et l’on peut toujours sortir les ballasts. Ce sont les têtes de projecteurs, principalement HMI et les " space lights " que tu branches sur variateurs qui sont terribles. Avec le chef électro de Bruno Delbonnel, on a testé 40 projecteurs, il y en avait plus de 80 % qui faisaient du bruit. Dès que tu les baisses, ils se mettent à chanter. Quand tu en as au-dessus d’un drap, au-dessus de la tête des comédiens, tu es battu.
David :
Est-ce que c’est parce qu’il n’y a pas de demande auprès des fabricants de projecteurs qu’il y a ces problèmes ?
Cafer :
Il y a des demandes. Mais en Europe, les ballasts sont anglais, avec des têtes de projecteurs chinoises, italiennes ou allemandes, et les câbles français. Il y a plusieurs fabricants pour un seul projecteur et l’on a l’impression qu’ils ne communiquent pas pour faire un projecteur silencieux. Alors qu’il aurait des solutions par exemple pour faire des ventilateurs de ballasts plus silencieux.
Jean :
Faire du son, la nuit, avec des HMI, c’est la merde. Tu n’as plus le silence de la nuit.
Diane :
Est-ce que ce n’est pas plutôt les micros qui sont devenus plus sensibles et qui donnent envie d’avoir un meilleur silence ?
Jean :
Je n’en suis pas absolument certain. C’est plus sensible donc tu mets moins d’amplification... C’est sûr qu’on a débarrassé le silence du bruit de fond de la bande magnétique. Ce que tu as gagné avec le numérique c’est que tu te mets à entendre mieux des fonds subtils. Donc évidemment...
Ce qui serait important, c’est que les fabricants partent du postulat que l’on puisse faire de la lumière sans que cela fasse du bruit. Les micros n’éclairent pas. Tu mets un micro, cela ne fait pas de lumière. Ce n’est pas un gyrophare. Et bien les projecteurs ne doivent pas faire de sons.
Ce qu’il y a de plus difficile pour nous au son, c’est de combattre les bruits de projecteurs. C’est une guerre permanente. Tu fais la prise de sons en décidant de la qualité des micros et de leur place uniquement en fonction des projecteurs. Bien sûr, si tu mets des micros émetteurs, tu vas pouvoir descendre le bruit dû aux projecteurs. Mais, parfois, tu n’as absolument pas envie de cela parce que la qualité du son que tu recherches ne s’y prête pas, ou que les costumes ne le permettent pas. Alors quand tu ne peux pas le faire, tu en veux affreusement aux mecs qui font des lumières en mettant des projecteurs qui te gâchent le son des films. C’est tout le climat sonore qu’ils ont dégradé. Tu es obligé de refaire le son artificiellement.
Diane :
Avant les projecteurs étaient-ils complètement silencieux ?
Jean :
Ils ne faisaient pratiquement pas de bruits. Même les arcs faisaient infiniment moins de bruit, même les HMI selfiques ne faisaient pas de bruit. C’est à partir du moment où il y a eu les ballasts électroniques qu’on a amené du bruit. Puis on a commencé à mettre tout sur variateurs, et quantités de bruits sont apparues. J’ai fait des films dans des vieux studios en Chine. Ils ne faisaient pas de films en son direct pourtant, et ils avaient des trucs déments et en particulier des saladiers émaillés blancs avec des ampoules ultra-puissantes dont ils se servaient en bain de pied pour éclairer les découvertes. Cela produisait une lumière magnifique, mais cela ne faisait pas de bruit.
Et même en Russie alors qu’ils ne faisaient pas plus de films en son direct et bien les projecteurs ne faisaient pas de bruit. C’était dû à la technologie employée. Il y avait bien quelques vieux projos qui se mettaient à zinguer, c’était terrible, mais on pouvait les remplacer.
Après ils se sont équipés en matos en se disant : « On va pouvoir faire du son direct » en fait pas du tout c’était affreux. Ils produisaient un bruit fou.
David :
Est-ce qu’il y a des normes de niveaux de bruit pour les constructeurs de projecteurs comme on a chez les constructeurs de caméras ?
Jean :
Je ne sais pas.
David :
Est-ce qu’il y aurait un niveau de bruit acceptable, par exemple un maximum de 20 DB à ne pas dépasser ?
Jean :
Je n’en sais rien. Je pense qu’ils devraient être silencieux, un point c’est tout ! Il y a des projos, tu prêtes l’oreille et tu n’entends rien. S’il fallait quelque chose de mécanique pour produire de la lumière, je comprendrais. Quand tu fais bouger quelque chose c’est normal qu’il y ait du bruit, pousser un travelling, c’est normal que cela fasse du bruit. Et c’est d’ailleurs absolument dingue les progrès réalisés par les machinos. Avant tu entendais des buzzins effroyables, alors que maintenant ils se déplacent avec des poids énormes et tu n’entends rien. Ils ont réussi des prouesses formidables.
Diane :
Alors que les projecteurs, c’est carrément le contraire.
Jean :
C’est carrément le contraire.