Retour sur la visualisation ACES sur le tournage de "Petite maman", de Céline Sciamma, photographié par Claire Mathon, AFC

Par Aurélien Branthomme, superviseur technique image, Workflow & Color Management / TSF Caméra, et Jérôme Bigueur, étalonneur / Hiventy
En automne 2020, Hiventy et TSF Caméra ont réfléchi ensemble à la mise en place de la continuité technique et visuelle totalement ACES entre tournage et postproduction de Petite maman, le nouveau film de Céline Sciamma (en salles depuis le 2 juin 2021), produit par Lilies Films. Aux essais filmés, Claire Mathon, AFC, émet le souhait de visualiser en ACES dès le tournage du film.
Image étalonnée - Droits réservés Lilies Films 2021
Image étalonnée
Droits réservés Lilies Films 2021

Il est vrai que l’on entend davantage parler de l’ACES dans une étape de postproduction.

Pourtant, l’un des principes de l’ACES (et l’un des moteurs de sa création) est bien l’échange entre les parties de création présentes (à l’origine l’échange avec les studios d’effets spéciaux). C’est l’établissement d’un langage commun, d’une solution technique offerte à tous (Open Source), afin que l’image transparaisse fidèlement à son intention, dans tous les lieux consécutifs ou simultanés de travail liés à la production de l’image d’un projet.

Pourquoi serait-il alors imaginable d’écarter les métiers du tournage de cet échange, l’endroit même où cette image se construit concrètement ? Y aurait-il des limites techniques à implémenter l’ACES sur le tournage ? Une caméra et son environnement matériel seraient-ils incapables de dispenser un rendu d’image ACES à l’équipe ? Existe-t-il des limites pratiques ?

En l’absence de DIT sur le plateau, nous allions devoir mettre à plat tout ce que nous connaissions des principes de l’ACES, pour rapidement aller les observer pratiquement, dans tous les recoins techniques et concrets qui allaient se présenter sur le tournage. Rechercher et vérifier précisément, afin de dégager ensuite des solutions, ou en tout cas les meilleurs outils répondant aux défis spécifiques de ce projet.

Les principes
Lors de nos discussions préliminaires, quelques idées ressortent dans la volonté de travail de Claire Mathon et l’intention finale de ce film, autant d’éléments qui recommandent naturellement l’utilisation de l’ACES, telle qu’on peut le lire depuis des années dans la littérature.

Précédemment, la collaboration entre Claire Mathon, TSF Caméra et Hiventy avait donné naissance à l’image du film de Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu (film très remarqué et très bien accueilli aussi bien en France qu’à l’étranger, notamment aux USA).
Un choix esthétique s’était alors présenté entre un tournage en 35 mm et en numérique. Le film avait été finalement tourné avec une RED Monstro et des optiques Leica Thalia, et finalisé traditionnellement, en suivant le workflow RED propriétaire IPP2, dans DaVinci Resolve.

Pour cette nouvelle collaboration, l’ACES ayant fait son chemin comme solution en restauration des films du patrimoine chez Hiventy (Total Recall, Basic Instinct), et suite à un intérêt grandissant de la part de la directrice de la photographie, il a été proposé d’appliquer le procédé sur les premiers essais filmés.

Claire est ainsi venue chez TSF comparer l’Arri Alexa LF, qu’elle souhaitait découvrir, avec la RED Monstro.
Puis, sur le nouveau site d’Hiventy à Boulogne, en salle d’étalonnage, l’ACES a permis de sortir tout de suite une image interprétée de chaque constructeur afin de rapprocher mais aussi de différencier les caméras dans un même espace couleur. Pour ces essais, la RED Monstro, que nous connaissons bien, fut notre référence, et nous avons approché l’Arri Alexa LF pour pouvoir ressentir l’image, puis comparer optiques et filtres. A la fin de cette séance, avant de présenter les tests à Céline Sciamma, Claire a trouvé qu’elle aimait la Monstro pour ses couleurs en extérieur, et la LF pour la douceur dans les basses lumières en intérieur, d’autant que le tournage en studio allait permettre une grande maîtrise de la couleur dans les ombres. Sans se concerter avant, il s’est trouvé que Céline Sciamma, qui a un excellent jugement, a eu exactement le même ressenti devant les images projetées des essais. Claire s’est donc lancée dans ce challenge de tourner à deux caméras différentes, afin de créer l’image souhaitée par sa réalisatrice pour ce film, à savoir des couleurs automnales dans un rendu du monde tout de même marqué par l’imaginaire de Miyazaki.

L’ACES, dans ce qu’on peut voir et lire aujourd’hui, est une solution qui doit être techniquement simple, permettant le mélange de caméras mais surtout de pouvoir travailler rapidement et efficacement avec des transformations pour des livrables propres, et potentiellement multiples. Et ce fut le cas : lors des premiers essais, tout de suite, on a pu travailler sur une image et un rendu d’image qui allait dans le même sens entre les deux caméras.

Réalité(s)
Quand nous avons fait le choix des caméras, des optiques et de l’ACES en solution de workflow global, nous avons senti comme une réticence de la production qui avait eu des avis négatifs. Et en discutant, on peut se rendre compte que peu d’équipes de tournage, voire aucune, n’utilise la transformation ACES sur le plateau même, alors qu’il semble être important d’avoir aujourd’hui une cohérence et une continuité entre tournage et postproduction.

Au début des vérifications que nous devions entreprendre en vue de la concrétisation de ces principes sur le tournage, nous avions tout de même et heureusement quelques impondérables qui allaient installer nos tests à venir dans un cadre précis.
Le premier élément de ce cadre était de savoir dès le début que le film allait être finalisé obligatoirement avec DaVinci Resolve V.16. Dès lors, toutes nos intentions de continuité se passeraient en relation avec cette finalité.
Le deuxième était de savoir qu’il y aurait donc sur le tournage l’utilisation consécutive de deux caméras différentes : la solution que nous devions trouver devait donc s’adapter aux deux systèmes de façon la plus transparente possible pour l’équipe caméra, qui allait être seule à manipuler le rendu image sur le tournage.

Avec ces deux données, à la fois techniques et pratiques, nous pouvions commencer le travail de vérification propre à l’ACES On Set, c’est à dire une vérification qui devait passer par tous les facteurs matériels que nous trouvons traditionnellement sur un tournage : de la sortie caméra en BNC jusqu’au moniteur de référence en passant par l’implémentation technique de l’ACES entre les deux.
Pour autant, nous avons bien sûr tout de suite prêté attention au rendu de l’image ACES en projection (à la fois au Cercle Rouge chez TSF et chez Hiventy) grâce à l’opportunité de nous servir en partage des essais caméras de Claire Mathon pour lier la continuité entre projection et visualisation sur le plateau.

La première chose que l’on peut dire pratiquement de l’ACES, en regardant simplement le traitement d’une image dans ce standard [1], est que, avec ou contre son gré, l’AMPAS a induit paradoxalement au principe de standard qu’est l’ACES un look spécifique de base.
Pour l’exprimer rapidement, le départ visuel de l’ACES a la particularité et l’avantage de proposer dès le demosaicing une "structure d’image" lisible (contrairement à une mauvaise habitude appelée communément "LOG"), comportant un contraste apparent et un rendu de couleur aux choix affirmés, qui seraient proches de l’expérience film (dans son contraste et la réaction de ses niveaux lumineux) à la différence que cette base est marquée par une forte saturation, notamment dans les verts et les rouges.

Arri Alexa Mini LF - Workflow Arri
Arri Alexa Mini LF - Workflow Arri
Arri Alexa Mini LF - ACES
Arri Alexa Mini LF - ACES
Mini LF Arri ColorKey
Mini LF Arri ColorKey
Mini LF ACES ColorKey
Mini LF ACES ColorKey
Arri Alexa Mini Workflox Arri to SRGB - Droits réservés Lilies Films 2021
Arri Alexa Mini Workflox Arri to SRGB
Droits réservés Lilies Films 2021
Arri Alexa Mini LF ACES SRGB - Droits réservés Lilies Films 2021
Arri Alexa Mini LF ACES SRGB
Droits réservés Lilies Films 2021
RED Monstro - Workflow IPP2 RWG to SRGB - Droits réservés Lilies Films 2021
RED Monstro - Workflow IPP2 RWG to SRGB
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RED Monstro ACES to SRGB
RED Monstro ACES to SRGB

Même si ce “look” de base n’est qu’un point de départ, il n’est pas inutile de le prendre comme premier repère, et de savoir quelle sera son apparence, dispensée par une caméra et un moniteur de référence sur le tournage.

En action de départ, nous avons donc décidé de connaître précisément la façon dont cette distinction entre traitement propriétaire de caméra et traitement ACES de la même caméra dans DaVinci Resolve allait apparaître en sortie de chaque caméra sur le tournage. Si l’on doit parler d’ACES on Set, nous devons déterminer l’action possible de chaque acteur de visualisation sur le plateau... Pour cela, nous avons effectué des jugements subjectifs et perceptifs mais surtout des mesures comparatives au spectroradiomètre de mires différentes, sur un moniteur de référence HD Trimaster Sony OLED dûment calibré.
Notons que cette méthode nous permettait en même temps d’apprécier et d’avoir des éléments de réponse qui allaient nous servir parallèlement pour le choix du moniteur de référence de tournage, en rapport avec le rendu de l’ACES (nous y reviendrons plus tard).
La cible était donc le rendu technique ACES (sans intervention d’étalonnage stylistique d’aucune sorte) dans DaVinci Resolve 16.

La recherche des outils

La 3D LUT
Depuis plusieurs années maintenant, les progrès des caméras de cinéma permettent d’importer une User 3D LUT dans la caméra afin de s’en servir comme visualisation sur le tournage.
Une 3D LUT est faite avant tout pour convertir une image d’un espace colorimétrique à un autre, et donc tout à fait propice a priori pour opérer une conversion ACES depuis l’espace propriétaire d’une caméra.

Voyons donc ce que la sortie d’une caméra "lutée" implique concrètement en termes de différences colorimétriques sur l’image d’une mire de couleur MacBeth.
Pour cela, nous nous servirons d’une valeur simple de comparaison, qui est traditionnellement utilisée en calibration ou en caractérisation de caméras, le DeltaE2000, valeur sans unité (Delta pour exprimer mathématiquement une différence, et E pour Empfindung qui se traduit de l’allemand par Sensation…).

Fig.1 : Les 24 valeurs différentielles d'une mire ColorChecker MacBeth (en dE2000) - Arri Alexa LF/LUT Arri 709
Fig.1 : Les 24 valeurs différentielles d’une mire ColorChecker MacBeth (en dE2000) - Arri Alexa LF/LUT Arri 709
Fig.2 : Les 24 valeurs différentielles d'une mire ColorChecker MacBeth (en dE2000) - Arri Alexa LF/LUT ACES 709
Fig.2 : Les 24 valeurs différentielles d’une mire ColorChecker MacBeth (en dE2000) - Arri Alexa LF/LUT ACES 709

Il est souvent accepté dans le sens commun qu’une différence visuelle de couleur apparaîtra à DeltaE2000 > 1 (ce qui n’est pas strictement exact en pratique, la différence pouvant être visible à moins ou alors seulement à bien plus selon les couleurs et leurs propriétés). Ce postulat nous sert pourtant quotidiennement pour la calibration des moniteurs de référence et des moniteurs de terrain et est donc lié et peut être associé à la pratique du rendu de l’image sur le tournage. On peut voir ici (Fig.1) que le fait de sortir une image avec une LUT implique immédiatement des dérives par rapport à la même image observée dans DaVinci, même dans un workflow propriétaire. Cette dérive s’amplifie en nombre et en importance dès lors que l’on mesure la sortie caméra en "ACES to 709" [2] (Fig.2).
Et un deltaE2000 > 4 tel qu’on peut le voir ici, donnerait largement l’occasion de recalibrer entièrement un moniteur si on déplaçait cette valeur dans le cadre du souci apporté à une calibration classique.

Nous avons simulé ici en rendu perceptif le résultat de ces mesures de DeltaE prises en sortie de caméra (en tenant compte de l’espace colorimétrique sRGB qui régit la lecture de document sur un ordinateur ou tablette que vous faites en ce moment même en lisant ces observations).

Color Checker Chart LUT Arri 709 DV Resolve
Color Checker Chart LUT Arri 709 DV Resolve
Color Checker Chart LUT Arri 709 DV sortie caméra
Color Checker Chart LUT Arri 709 DV sortie caméra
Color Checker Chart Arri Mini LF LUT ACES to 709 DV
Color Checker Chart Arri Mini LF LUT ACES to 709 DV
Color Checker Chart Arri Mini LF LUT ACES 709 Sortie caméra
Color Checker Chart Arri Mini LF LUT ACES 709 Sortie caméra

Même dans le cas de l’ACES, la différence entre image "fichier" et sortie caméra peut bien sûr paraître modeste, mais elle préfigure les différences que nous allons continuer d’observer, et l’on peut se dire que si l’on voit cette différence sur une mire, cela va forcément prédire des différences plus ou moins importantes, selon la présence de ces couleurs ou de leurs nuances dans telle ou telle prise de vues.

Toutefois, malgré ces différences calculées et visibles, nous pouvons noter qu’une 3D LUT est capable d’afficher une image traitée en ACES dans un espace REC 709 : la logique visuelle de la transformation ACES (que nous avons définie plus haut) est tout de même présente, et aucun artefact amené par la LUT n’est à déplorer.
Pourtant, de façon quelque peu inexacte et unilatérale, la 3D LUT induit aujourd’hui une compréhension multiple et, par glissement axé vers la loi du "pratique", évoque davantage l’établissement d’une valeur esthétique, plutôt que le témoignage de la construction d’une donnée technique comme l’ACES.
Une grande confusion est alors apparue, et de nombreux projets sont partis avec des LUTs élaborées par les "labos" à partir d’une construction ACES, sans que les DoP en soient même quelquefois conscients.
Ce qui n’était pas le but ici, et ce qui a tout de même joué pour notre choix final.

La sortie caméra
Au travers de toutes les vérifications que nous avons menées ici, ceci étant appuyé par une expérience plus lointaine et déjà faite en la matière, nous pouvons aboutir à certaines conclusions générales sur les sorties de caméra, en tant que donnée matérielle (le traitement de signal impliqué par la norme qui régit le 3G SDI), par rapport aux fichiers enregistrés et débayerisés dans DaVinci Resolve, que ce soit en workflow propriétaire des caméras ou en ACES [3].

- la sortie caméra est plus contrastée
- la sortie caméra est plus saturée
- la sortie caméra a une définition apparente moindre.

Simplement, ceci est notamment dû à la débayerisation en caméra, indispensable pour permettre à un signal vidéo d’être affichée via une sortie, mais, on le comprendra, moins efficace qu’une débayerisation finale dans un logiciel de traitement d’image.

La LUT Box
En voyant les différences ci-dessus, on pourrait mettre en présence dans la réflexion le traitement de la LUT dans la caméra, ou encore la façon dont la LUT est construite après la conversion opérée dans DaVinci.
Tentons de sortir ce problème de l’équation en déplaçant la transformation en dehors de la caméra, via une LUT Box.
Néanmoins nous allons introduire la question du software qui effectue et guide la transformation dans le hardware…
En réalité, LUT Box 1 et LUT Box 2 (voir ci-dessous) sont bien une seule et même LUT Box mais dont les traitements par deux logiciels dédiés sont distincts.

Color Checker Chart Arri ACES LUT Box 1
Color Checker Chart Arri ACES LUT Box 1
Color Checker Chart Arri ACES LUT Box 2
Color Checker Chart Arri ACES LUT Box 2

Les différences sont tout de même ici plus identifiables. Mais il est temps, de surcroît, de les remettre en regard de la cible voulue, c’est-à-dire la perception du rendu ACES d’une image dans DaVinci Resolve.

Color Checker Chart Arri Mini LF LUT ACES to 709 DV
Color Checker Chart Arri Mini LF LUT ACES to 709 DV
Color Checker Chart Arri ACES LUT Box 1
Color Checker Chart Arri ACES LUT Box 1
Color Checker Chart Arri ACES LUT Box 2
Color Checker Chart Arri ACES LUT Box 2

Les résultats visuels viennent donc concorder avec la mesure des DeltaE.
Un seul des deux traitements LUT Box pourrait visiblement concorder. En effet, la LUT Box 1 se discerne de la cible, mais toujours dans le sens que nous avons défini (plus saturée etc.) tandis que la LUT Box 2 se détache très clairement du raisonnement global que l’on peut avoir sur l’aspect ACES en général.
Mais encore une fois, c’est ici la cible à atteindre qui a conditionné la recherche des outils et des solutions. Il serait par ailleurs très intéressant de travailler avec les constructeurs pour connaître les intentions techniques de tel ou tel rendu, les raisons de leurs choix particuliers par rapport aux mathématiques qui régissent l’ACES.
D’ailleurs, le point de vue d’une retenue de la saturation des couleurs (LUT Box 2) est une proposition qui pourrait éventuellement régler globalement des interrogations pratiques, notamment sur le ressenti de l’aspect de base de l’ACES qui peut parfois effrayer les utilisateurs.
C’est d’ailleurs en commençant en parallèle à avancer sur ce sujet (l’aspect de base de l’ACES n’est pas censé perdurer sans action d’intention esthétique dans la construction cohérente d’un projet de film) que la LUT Box en tant que telle a pu être aussi déterminante.
Le process de la LUT Box 1 est effectué via Pomfort Livegrade, qui a l’originalité, en plus de proposer nommément l’implantation de l’ACES via un choix d’IDT et d’ODT, de déterminer techniquement son intention esthétique, sous forme d’ASC CDL à l’intérieur de l’ACES.

En fait, la CDL a fait office de LMT [4], composante très importante du standard ACES, qui sert souvent d’écrin à l’intention esthétique qui va définir le véritable ton du film, mais parfois difficile à modifier quotidiennement.
Or, la CDL est très simple à manipuler dans DaVinci Resolve et garantit alors une visualisation propre sur le tournage pour l’équipe. Ainsi, Claire pouvait en effet maîtriser et rectifier si elle sentait que le signal réagissait mal.
En outre, comme la production avait choisi aussi l’option de faire un étalonnage des rushes, cela permettait au quotidien de peaufiner l’image pour qu’elle puisse être cohérente, dès l’étape du montage. Ce qui a vraiment beaucoup aidé car tout s’est très vite enchaîné pour la postproduction. Nous avions une image et un discours commun qui ont servi tout de suite quand le film est arrivé à l’étalonnage final.

Le moniteur

Color Checker Chart Arri Mini LF LUT ACES to 709 DV
Color Checker Chart Arri Mini LF LUT ACES to 709 DV
Color Checker Chart ACES Proxy Flanders DM 170
Color Checker Chart ACES Proxy Flanders DM 170

Sur le papier, la dernière possibilité d’implémenter l’ACES sur un tournage est le moniteur lui-même.
Certains moniteurs proposent en effet dans leurs fonctionnalités un affichage en ACES Proxy.
Mais nous pouvons dire en regardant les éléments ci-dessus que cette solution présente les écarts les plus significatifs avec la cible voulue. Ceci n’est d’ailleurs pas tant dû à l’ACES Proxy, mais plutôt probablement à une implémentation du constructeur. A nouveau, il serait intéressant d’étudier les solutions comparables que peuvent proposer les différents constructeurs de moniteurs professionnels, et ainsi étudier leurs motivations techniques.
Une nouvelle fois, notre point de vue est pratique et se place dans le cadre d’une cible à atteindre.
De plus, cette solution représente un choix peut-être trop radical sur le fait d’établir strictement un seul moniteur de référence (car bien sûr la conversion 709 ODT se faisant dans le moniteur même, il n’y a aucun moyen de l’appliquer exactement de la même façon sur les autres moniteurs du tournage, ni surtout dans la visée) sur un tournage de cinéma où, aujourd’hui, les moniteurs se sont par habitude multipliés [5].

Par ailleurs, le choix du moniteur principal, que l’équipe voulait d’une assez grande taille (25”), s’est bien évidemment posé.
Comme nous l’avons dit plus haut, et pour éviter tout malentendu, un traitement ACES ne signifie pas que l’on ne puisse pas visualiser ce traitement en BT 709. Donc tous les moniteurs actuels sont valides à pourvoir une visualisation ACES.

La solution
Ainsi, après toutes ces vérifications, le film a donc bien été tourné successivement par deux caméras différentes, et constitue à notre connaissance le premier tournage ayant implémenté nommément une visualisation ACES en France.
Pour cela, l’équipe caméra avait installé et alimenté sur la caméra une seule et unique LUT Box Fuji IS Mini, réglée en ACES + CDL via Livegrade. Chaque caméra a demandé une CDL qui lui était propre.
La LUT Box nourrissait tous les moniteurs du tournage via des HF vidéo.

Nous connaissions par ouïe-dire des aspects et phénomènes visuels qui sont amenés par l’ACES mais désormais, à la sortie de ces mesures, nous pouvions en cibler globalement certains et agir en conséquence.

A partir de là, nous pouvions alors éventuellement avoir sur le tournage la possibilité de juger et d’éviter certaines couleurs trop saturées qui n’avaient de toute façon pas lieu d’être dans nos gammes de couleurs choisies pour le film. Limiter ces objets et pouvoir les contrôler en visuel dès le plateau nous a évité des embûches.
Certaines hautes lumières pouvaient aussi poser question [6] et encore une fois Claire Mathon pouvait veiller sur ces bases.

Pour autant, l’ACES n’est pas une "prison", une solution impossible à manipuler, mais permet évidemment aux décisions et actions esthétiques de prendre leur place.
Le choix qui s’est finalement porté sur la LUT Box 1 a été motivé par la possibilité de représenter un workflow ACES reconstitué sur le terrain, c’est à dire avec une partie technique, avec une architecture ACES complète, et bien sûr une partie esthétique, qu’il fallait pouvoir reconstituer exactement sans perdre de temps ni d’intention à l’étape de l’étalonnage des rushes.

Après étude sur le terrain, la solution s’est avérée très confortable et a permis de travailler en toute transparence, du tournage jusqu’aux rushes, puis à l’étalonnage et aux VFX (même si très partiels sur ce film).
A noter qu’avec les sauvegardes des rushes et sessions, il serait facile de ressortir le film dans d’autres espaces couleurs type HDR/REC 2020, sans pour autant reprendre l’étalonnage final.

Arri ACES - Droits réservés Lilies Films 2021
Arri ACES
Droits réservés Lilies Films 2021
Arri ACES + CDL - sortie caméra - Droits réservés Lilies Films 2021
Arri ACES + CDL - sortie caméra
Droits réservés Lilies Films 2021
Arri ACES Rush étalonné - Droits réservés Lilies Films 2021
Arri ACES Rush étalonné
Droits réservés Lilies Films 2021
Arri ACES étalonnage final - Droits réservés Lilies Films 2021
Arri ACES étalonnage final
Droits réservés Lilies Films 2021
RED Monstro ACES - Droits réservés Lilies Films 2021
RED Monstro ACES
Droits réservés Lilies Films 2021
RED Monstro ACES + CDL - sortie caméra - Droits réservés Lilies Films 2021
RED Monstro ACES + CDL - sortie caméra
Droits réservés Lilies Films 2021
Rush étalonné - Droits réservés Lilies Films 2021
Rush étalonné
Droits réservés Lilies Films 2021
RED Monstro étalonnage final - Droits réservés Lilies Films 2021
RED Monstro étalonnage final
Droits réservés Lilies Films 2021

Cet article est une retranscription partielle de propos tenus par Aurélien Branthomme lors de la conférence ACES du Département Image de la CST du 4 mars 2021.

Pour plus de renseignements généraux sur le thème, s’adresser à Jérôme Bigueur chez Hiventy et Aurélien Branthomme chez TSF Caméra.
Remerciements : Françoise Noyon, Thierry Beaumel, Eric Martin, Danys Bruyère.

[1Thierry Beaumel définit l’ACES de façon très juste comme un standard, et non comme un Workflow... (cf conférence CST Département Image 4 mars 2021)

[2L’ACES est un espace de travail image très large, mais dont l’intérêt est évidemment de pouvoir décliner par opération mathématique cet espace dans les gamuts traditionnels de production (BT 2020, DCI-P3 et bien sûr BT 709) afin de pouvoir diffuser une image visible.

[3Même si la caméra Sony Venice n’était pas dans le cadre de ce tournage, nous avons effectué des tests aussi précis et pouvons conclure les mêmes généralités, même s’il faut noter que la Venice est la seule caméra aujourd’hui à proposer depuis la V.6.00 dans ces menus un choix de plusieurs sorties ACES.

[4La LMT (Look Modification Transform) représente souvent une modification dont on sait qu’elle va perdurer tout au long d’un projet, permettant ainsi la survivance d’une transformation stylistique jusqu’à l’étalonnage final dans une architecture technique qui forme le standard ACES. Cela pourrait être par exemple une simulation de rendu film. https://acescentral.com/knowledge-base-2/lmts-part-1-what-are-they-and-what-can-they-do-for-me/

[5Nous sommes tout à fait pour le principe strict du moniteur de référence, qui éviterait des problèmes de dialogues entre les collaborateurs du tournage et éviterait les doutes induits par la disparité des qualités de moniteurs selon les tailles, malgré tous les efforts de calibration qui peuvent être faits.

[6Dès les débuts de nos tests, nous avons remarqué, aussi bien en visualisation moniteur qu’en projection DCP, que les hautes lumières participaient activement au rendu plus contrasté du point de départ visuel de l’ACES car moins contrastées en elles-mêmes et plus soutenues. Mais ce n’est qu’un point de départ...