Retour sur les Q&R et la rencontre autour de "Notre-Dame brûle"
Par Margot Cavret(Lire ou relire l’article "Entretiens à propos de la préparation et du tournage de Notre-Dame brûle, de Jean-Jacques Annaud", par François Reumont)
La première séance de Q&R, suivant la projection du dimanche, se déroule en petit comité, l’occasion pour les trois hommes de partager avec ce public privilégié les origines du film. Jean-Jacques Annaud se souvient : « Le jour de l’incendie, j’étais à la campagne, mon seul moyen d’information était la radio. J’habite juste à coté de la cathédrale, donc je n’avais pas besoin des images, je les voyais toutes dans ma tête. Et c’était déjà un film extraordinaire. C’était évident pour moi. Cette histoire avait déjà une structure dramatique très hollywoodienne : une star, la femme la plus belle et la plus célèbre d’Europe, Notre-Dame ; des méchants photogéniques, charismatiques et dangereux, les flammes ; et des héros qui risquaient leur vie au service du bien, les pompiers. Il y avait du drame et du suspens. C’était Hollywood, Shakespeare et Molière en une seule histoire ! ».
Le réalisateur est alors persuadé que des dizaines de scénaristes s’empareront bientôt de cet événement pour l’adapter au cinéma. Le temps passe, et, un an plus tard, toujours rien n’a été produit. On lui propose alors de réaliser un documentaire à partir d’images d’archives, et pour l’occasion il lui est donné de lire tous les documents retraçant avec précision le déroulé des événements. « Je les ai lus avec passion », raconte-t-il « jusque tard dans la nuit. Je ne pouvais pas y croire, j’avais l’impression que ça avait été écrit par un scénariste hollywoodien talentueux, c’était encore plus incroyable que ce qui avait été dit aux informations ». Jean-Jacques Annaud décide alors de réaliser ce film. Il rencontre plus de 150 personnes impliquées dans le sauvetage, les pompiers majoritairement, mais aussi les gens d’église, les ouvriers du chantier, le personnel de sécurité, les fidèles, etc. En collectant leurs témoignages, mais aussi leurs notes et les photos qu’ils ont prises, il parvient à se représenter avec précision le déroulé des événements. Malgré ce travail de préparation titanesque, l’écriture du scénario se fait assez vite. « Le scénario définitif était la V5. A titre de comparaison, j’avais fait plus de 70 versions pour Le Nom de la rose ! ». Jean Rabasse complète : « Un autre élément important était de comprendre comment, à quelle vitesse et dans quelle direction s’est déplacé le feu. Nous avons fait des recherches très précises et très sérieuses, pour gagner la confiance du spectateur. Par exemple, pour la scène dans le beffroi, j’ai fais des modèles 3D sur Sketch-up, pour mettre en relief le cheminement du feu. Ça nous a permis de mieux comprendre l’enjeu dramatique de l’architecture, avec cet unique escalier d’accès qui entrave la progression des pompiers ». Les comédiens sont choisis pour leur ressemblance physique avec les personnes réellement impliquées dans l’événement, et celles-ci, d’ailleurs, viennent assister au tournage. Beaucoup sont impressionnées par le réalisme de la reconstitution et apportent leur pierre à la véracité de cette reproduction, en donnant à nouveau à Jean-Jacques Annaud des précisions sur tous le détail de leurs actions de ce jour-là. Pendant le montage, le réalisateur reçoit plus de 3 500 images tournées par des particuliers pendant l’incendie. Toutes raccordent parfaitement avec les images du tournage, réalité et fiction se combinent parfaitement. « Les gens ne savent pas si c’est un documentaire, ou une fiction », s’amuse Jean-Jacques Annaud. « Ils veulent savoir si c’est un thriller, un film catastrophe, un film d’action, un drame. Je ne veux pas pouvoir être rangé dans une boîte ainsi. J’essaye d’être différent. Je ne sais pas quel genre c’est, c’est simplement un film que j’avais envie de faire ! Il y a aussi des passages de comédie car la vie est comme ça, c’est continuellement une tragédie et une comédie en même temps. »
La conférence du lendemain est plus complète et plus longue, et s’accompagne d’images de making-of et de photographies du tournage sur lesquelles s’appuient les explications techniques de Jean-Marie Dreujou et Jean Rabasse. Toujours dans un souci de traduire précisément la réalité des événements, Jean-Marie Dreujou retrouve la météo de ce jour, ensoleillée avec un ciel dégagée, et la reproduit sur chaque décor, en faisant évoluer la position du soleil au fur et à mesure que l’action avance. Il insiste également sur la difficulté technique que revêt le tournage des plans vus depuis l’intérieur du brasier. « On a fait fabriquer des caissons spéciaux pour mettre les caméras », raconte-t-il, « et on utilisait de larges tuyaux ignifugés pour faire sortir les connectiques. Il fallait corriger l’exposition en continu car les flammes ont cette spécificité qu’elles ont de très fortes variations d’intensité ».
L’équipe évite au maximum de recourir aux effets spéciaux de postproduction, afin de conserver autant que possible l’authenticité des flammes, et de permettre aux comédiens d’incarner leurs personnages au plus proche de leur ressenti. D’autres effets sont également intégrés directement sur le plateau, grâce à des astuces et tricheries inhérentes à la fabrication cinématographique, et qui tendent malheureusement de nos jours à se faire remplacer par la postproduction, comme l’aspect mouillé du sol de la cathédrale, qui est obtenu par le simple ajout de plastique transparent au sol, et un habile jeux de lumière mis en place par Jean-Marie Dreujou pour faire s’y refléter les vitraux. « C’est moins cher et c’est plus amusant à faire ! », commente l’équipe.
Jean-Jacques Annaud a tout de même recours aux VFX pour des occasions ponctuelles, que ce soit pour renforcer la dangerosité des flammes ou pour certains plans spécifiques, comme celui en vue du ciel sur la cathédrale en train de brûler. « J’ai refusé 72 versions de ce plan », détaille Jean-Jacques Annaud, « on est partis d’une photographie fixe assez rare, car il est interdit de voler au-dessus de la cathédrale. Et tous les deux jours les VFX venaient me proposer une nouvelle image que je refusais. C’est pour ça que je ne fais pas beaucoup de VFX, c’est long et laborieux avant d’obtenir un résultat satisfaisant. »
Malgré une préparation millimétrée, Jean-Jacques Annaud ne recourt à aucun story-board. « On avait vu le décor ensemble, décidé de la place de la caméra, discuté de la lumière, si j’avais demandé à un story-boardeur de le dessiner, ça aurait été moins bien car il n’aurait pas fait toute cette préparation avec nous, et ça aurait pu entraver le travail de Jean et de Jean-Marie qui se seraient sentis obligés d’imiter ce story-board. J’ai quand même fait une centaine de dessins, pas vraiment pour eux qui savaient déjà précisément ce qu’on allait faire, mais plutôt pour le reste de l’équipe. Et j’ai aussi écrit de longues explication pour chaque plan dans le découpage technique. J’aime travailler comme ça, car ça inspire le lecteur, mais ça lui laisse l’imagination et le pouvoir de créer. Le film bénéficie du talent de chaque contributeur. » Jean Rabasse complète : « Faire du cinéma, c’est une aventure fantastique avec des collaborateurs différents. Au début, on ne savait pas comment faire mais on est restés méthodiques tous ensemble, et on a réussi, je n’aurais pas pu faire ce décor sans Jean-Marie ou Jean-Jacques. Il faut créer ensemble, c’est la seule possibilité pour faire un film si compliqué ».