Seize années avec Jean Penzer
Par Michel CoteretNous avons travaillé de nombreuses années ensemble, avec des réalisateurs et sur des films très différents. De simple nouveau dans l’équipe image, c’est au cours de ces années que notre amitié s’est forgée. Par "nous" j’entends un contexte très important pour Jean qui consistait en une "équipe", c’est-à-dire quatre personnes occupant quatre postes complémentaires à la caméra, plus une équipe d’électriciens et de machinistes concourant à la réalisation de l’image du film.
En dehors de ce lien très fort où les responsabilités étaient clairement définies et avec une grande solidarité sous la direction de Jean qui en était "l’animateur" indiscuté mais jamais autoritaire de notre travail, il se pratiquait un humour parfois grinçant pour les non initiés. Cet humour – qui est un trait marquant de son caractère –, tirait parfois sa source des situations de tournage dont voici un exemple : un réalisateur dit à Jean : « Pour ce plan, Jean, fait-nous une belle lumière ». Phrase banale issue d’un langage spontané sans a priori. Un sourire mi navré, mi amusé, apparaissait sous la moustache de Jean qui réplique en s’adressant à son chef électricien : « Coupe tout et allume le service ! ». Cet humour n’était pas forcément au goût de tous. Mais il me plaît beaucoup par son côté dérision.
Un autre trait de son caractère : le doute et la remise en question. Sur un très grand décor en studio le premier jour du tournage. Au moment où je lui apporte sa cellule il me dit – sans vraiment s’adresser à moi d’ailleurs mais plutôt en une réflexion personnelle qui aurait été verbalisée : « Par où commencer ?… Quel premier projecteur à allumer ? » Cette remarque soliloquée a été pour moi, assistant opérateur débutant, un enseignement fondamental. Pendant un instant je me suis mis à sa place et je n’avais aucune réponse à donner, c’était la remise en question de soi-même dans la phase de création avant de passer à l’acte !
Pendant ces années les valeurs humaines de Jean qui sont le partage des connaissances, et les critiques constructives sur des sujets du cinéma et autres étaient toujours un moment de partage et de joie. Ces discussions avaient lieu notamment pendant la préparation et après les projections où "nous" analysions notre travail commun, souvent autour du dîner pour les films en extérieur. Ces moments de convivialité ont très fortement orienté ma vie en générale.
J’ai occupé tous les postes sous sa direction, de deuxième assistant à cadreur. Indistinctement, dans tous ces postes, Jean faisait confiance, un autre trait marquant de son caractère. Toujours sous le chapitre de l’humour voici une anecdote dont j’ai fait les frais. Occupant le poste de cadreur sur un film où le réalisateur manquait de compétences, Jean, très occupé à régler la lumière, n’avait pas été mis au courant de l’évolution de la situation. L’acteur devait s’arrêter avant une porte donnant sur un extérieur réel avec un sas lumière en borgniol. La situation évoluant, l’acteur doit ouvrir la porte et sortir. Bien évidemment, en ouvrant la porte, nous voyions l’intérieur du sas très rapidement. Et je pose la question innocemment et bêtement à Jean : « On peut aller jusqu’où ? ». Question naïve certes, je le voyais bien au cadre ! La réponse fut immédiate : « Tu le verras bien quand tu seras au montage ». Réponse un peu excédée par la vitesse du travail mais bien choisie pour se remettre dans le contexte du choix face à la réalité !
De 1974, Peur sur la ville, d’Henri Verneuil, à 1990, Amelia Lopez O’Neil, de Valéria Sarmiento, pendant seize ans, soit à peu près la moitié d’une vie professionnelle, nous avons travaillé ensemble dans la plus parfaite harmonie. Comme pour tous, des phases de vie heureuse et malheureuse se sont succédées au cours de ces années et c’est avec tristesse que j’ai appris la disparition de Jean mais, amis lecteurs de l’AFC, n’est-ce pas notre lot à tous de rester à graver sur les génériques des films et par cela nous durerons peut-être plus que d’autres ?
Après toutes ces années au côté de Jean Penzer, Michel Coteret fut successivement co-directeur du département Image de La Fémis (avec Ricardo Aronovich, AFC, ADF) de 1990 à 1993, directeur des productions de l’ENS Louis-Lumière à partir de 1994 puis directeur de la formation initiale et directeur des études à l’ENS Louis-Lumière jusqu’en 2016.
En vignette de cet article, tournage de Peur sur la ville, en 1975, d’Henri Verneuil (assis au premier plan), Claude Carliez (cascadeur, avec la casquette, derrière Verneuil) Jean Penzer (debout au centre derrière la caméra tenue par Michel Lebon) et Michel Coteret, juste derrière la caméra PVSR à gauche).