Soirée Jean-Pierre Melville sur Arte

Contre-Champ AFC n°307

Dans le cadre de sa programmation "Printemps du Polar", le chaîne Arte a consacré, dimanche 29 mars, une soirée au cinéaste Jean-Pierre Melville, en diffusant Le Deuxième souffle, photographié par Marcel Combes, suivi d’un portrait inédit de Cyril Leuthy, Melville, le dernier samouraï. Pour l’occasion, lire aussi ci-après un hommage que rend Gertrude Baillot, cheffe opératrice du documentaire, à Pierre Lhomme, AFC, en rappelant quelques-uns de ses propos sur L’Armée des ombres.

20h55 et sur arte.tv jusqu’au 4 avril
Le Deuxième souffle
Film de Jean-Pierre Melville (France, 1966, 2h23, N&B)
d’après le roman de José Giovanni
Avec Lino Ventura, Paul Meurisse, Christine Fabréga, Michel Constantin

Un truand en cavale, accusé d’avoir donné ses complices, se bat pour laver son honneur. Glacé et ultrastylisé, un pur Melville où Lino Ventura joue sa partie à la perfection.

23h25 et sur arte.tv jusqu’au 28 mai
Melville, le dernier samouraï
Documentaire inédit de Cyril Leuthy (France, 2019, 52′)
Coproduction : ARTE France, Roche Productions

Un passionnant tour du mystère Melville, maître du film noir et de l’ambiguïté qui s’est forgé, en perfectionniste obsessionnel, son propre personnage.
Autodidacte génial entré "par effraction" dans le cinéma, Jean-Pierre Melville (1917-1973), né Grumbach, n’en finit pas de hanter les écrans, référence plébiscitée par une légion d’héritiers comme Quentin Tarantino, Jim Jarmusch, Michael Mann ou John Woo. L’auteur du Samouraï (diffusé le 9 mars à 20.55) et de L’Armée des ombres a-t-il construit son œuvre à son image ou s’est-t-il fabriqué une vie de cinéma ? De ses attributs coutumiers, chapeau et lunettes noires, à son temple claustrophobe des studios Jenner, refuge hors du monde qu’il acquiert en 1955, en passant par sa misanthropie, ses manies, ses insomnies, son intransigeance, ce qu’il a exposé de sa vraie vie renvoie la même épure, la même ambiguïté, la même énigme que ses quatorze films. Pour tenter de cerner l’homme derrière le masque, Cyril Leuthy plonge dans ses archives et sa filmographie, trempée de polar hollywoodien des années 1940, que Melville a réinventé dans la France des Trente Glorieuses, tout en s’offrant le luxe d’annoncer la Nouvelle Vague.
(Source Arte)

Hommage de Gertrude Baillot à Pierre Lhomme
« Nous étions en tournage de ce film, gardant l’espoir d’un entretien avec le directeur de la photographie Pierre Lhomme, quand nous avons malheureusement appris son décès. En guise de modeste hommage, voici la transcription d’extraits d’un entretien avec Pierre Lhomme au sujet de L’Armée des ombres, de Jean-Pierre Melville. »
(Extraits issus d’un bonus DVD de l’"Anthologie Melville")

« Moi, je ne connaissais pas Melville, on a fait connaissance sur le terrain si je puis dire. Mais je savais quand même qu’il aurait aimé travailler en noir et blanc, que dans les couleurs, il n’aimait absolument pas les couleurs chaudes. Et qu’il adorait l’ombre, la pénombre. Je savais tout ça en ayant vu Le Samouraï et ses autres films. Tu apprends autant sur un metteur en scène en regardant les films en noir et blanc qu’en regardant les films en couleur.
Sur son premier film en couleur, qui était Le Samouraï, il a été agressé par la couleur. Son souci, c’était le souci de tous les opérateurs de ma génération : on considérait que la couleur était agressive et qu’elle donnait sur une image une quantité d’informations qui était gênante, y compris pour la narration.
Les décors étaient en construction. On a fait des essais dans les décors. Se sont des essais qui ont été très intéressants pour le décorateur et pour moi parce qu’une des raisons pour lesquelles Melville a voulu travailler avec moi, c’est que dans les films que je faisais, c’étaient les carnations qu’il aimait. Donc c’est sur la couleur des peaux, sur les tonalités des peaux, que l’on a vraiment travaillé. Avec le décorateur, on s’est aperçu qu’étant donné que l’on aurait à faire à des gens qui étaient censés vivre dans l’ombre ou la pénombre, il fallait à tout prix éviter les tons bronzés, les tons chauds, les tons ensoleillés, les tons vacances, qui sont les tons classiques dans le cinéma en couleur, surtout à cette époque-là.
Moi, c’est le premier film important que j’ai fait en studio, mais avec un jeune décorateur qui avait la pêche. Et donc on a fait ces essais en studio et on s’est amusé à mettre un jus coloré sur les décors une fois finis, dans les jaunes-orangés. Puis on a compensé cette dominante colorée à l’étalonnage pour retrouver la couleur authentique des décors et enlever tout ce qu’il y avait de jaune-orangé dans les carnations, de façon à avoir des tons de peaux blêmes comme sont les gens en plein hiver.

Les premiers décors dans lesquels j’ai dû éclairer, mes références étaient toujours des souvenirs de lumières naturelles. Et dans L’Armée des ombres, qui était le film le plus abouti dans des décors, ça a été mon souci permanent. Je me suis basé sur mes impressions de lumières naturelles pour éclairer.

C’est un film où l’on donne au spectateur le temps de penser. Je cite toujours l’extraordinaire séquence du paquet de cigarettes dans la prison. C’est grâce au rythme, à un rythme qui n’est pas cinématographique classique, qui est un rythme presque littéraire, que tu suis l’événement qui se passe entre ces hommes, et tu ne peux pas ne pas être à leur place. Mais il faut qu’on te laisse le temps. Si les choses sont précipitées, tu es simplement secoué, mais tu n’as pas la liberté de réfléchir, de penser, de te mettre à l’unisson d’une situation et de te dire : "Si j’étais un de ces personnages, qu’est-ce que je ferais ? À quoi je penserais ? À la veille d’être exécuté…" Tout le film est un peu comme ça, même dans les deux ou trois scènes un peu violentes. Par exemple, dans la séquence où il s’échappe de la Gestapo, où il y a quand même quelque chose qui ressemble à un assassinat ou un meurtre, même là, les plans ont une vraie durée : le temps où il décide ce qu’il va faire et comment. Quand tu penses, par exemple, à l’exécution de Dounat, c’est une scène d’au moins une trentaine de plans.
C’est une histoire formidable. C’était lourd d’enseignement pour moi et pour les autres.
À force de jouer avec la pénombre dans cette séquence de strangulation, à la fin, ils éteignent et on doit comprendre que l’aube est naissante à l’extérieur et que tout ça s’est passé de nuit. J’avais traité cette séquence à un niveau de lumière assez bas, et quand ils éteignaient, il fallait bien que j’éteigne quelque chose. Et ce quelque chose a fait que l’on ne voyait pratiquement plus rien. Je m’étais vraiment, vraiment planté, j’avais perdu le contrôle, j’avais perdu la maîtrise de mon travail. Donc je le lui ai dit bien sûr. Je lui ai dit : « "Là, Jean-Pierre, ça ne va pas du tout". Je lui ai demandé à refaire le plan. Et très gentiment il m’a dit : "Ne te fais aucun souci, il y aura de la musique, ça sera très bien". Parce que lui savait quand il se servirait de la musique, moi je ne savais pas. Effectivement au moment où il y a cette extinction, il y a la musique, le thème principal du film de Demarsan qui démarre très feutré, et l’effet est absolument magnifique. »