Paula

C’est l’histoire d’un père qui aime sa fille mais très mal, au point de la tuer. Lorsque j’ai lu scénario de Paula, tourner ce film est devenu une nécessité. J’assistais à la mise en place précise et sans détour des mécanismes de l’emprise d’un père sur sa fille. Tout était là.
Il fallait être à la hauteur de la traduction cinématographique d’un récit nécessaire et je dois le dire, d’une intelligence rare.

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« Comment s’en prend-t-on au corps de l’enfant si ce n’est pas sexuellement ? Il y a beaucoup de réponses, à partir desquelles j’ai construit mon scénario. Priver de nourriture, de sommeil. Isoler géographiquement. Faire tomber les cloisons - interdire la pudeur.
C’est une mort à petit feu.
Le chemin d’écriture a été long, il fallait retrouver ces lieux qui faisaient sens en miroir de l’inceste - raconter ce qui m’était arrivé mais presque métaphoriquement.
Je suis parvenue à un scénario dans lequel l’inceste n’est pas présent de façon absolument évidente : ceux pour qui il était familier le voyaient tout de suite, les autres pouvaient passer à côté. » (Angela Ottobah, à propos de son scénario)

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Dès nos premiers échanges, la proposition formelle du film s’est dirigée vers une esthétique qui allait accompagner la violence de ce que l’on filme : non pas la magnifier, mais la rendre supportable. Cela permet une distance avec ce que l’on montre, une distance je crois nécessaire pour mieux comprendre les mécanismes de l’emprise.
La préparation a commencé avec 400 pages de recherches visuelles qu’Angela avait rassemblées tout au long de son écriture. A travers ce document j’apprenais à comprendre l’esthétique de sa mise en scène et sa sensibilité au cadre très particulière et inédite pour moi.

Quelques exemples de références visuelles


A travers la lumière, il s’agissait de partir de la couleur et de l’été, pour amener notre personnage vers une perte totale de repères et de temporalité dans une sorte de monochromie hivernale. Ce travail de la lumière était accompagné d’une multitudes de détails qui intervenaient dans l’évolution des décors du film, ses accessoires, les costumes, mais aussi le maquillage sur les comédiens. Ainsi, la disparition de certaines couleurs, le rouge, le jaune, accompagnait le choix de certaines forêts dans le retrait progressif du vert dans sa saturation et l’entrée dans le froid et l’isolement de personnage de Paula.

Il y a cette idée que plus Paula est isolée avec son père, moins elle, et nous, ne pouvons savoir quelle heure il est… Combien de temps s’est écoulé depuis la dernière fois… Combien de temps entre deux appels de sa mère, entre deux visites de l’assistance sociale…
La perte de repères chronologiques, et donc visuels, me semblait très importante pour traduire l’isolement de Paula : plus on avance dans le film, plus on se demande si ce que l’on voit est normal.
On regarde mais on peine à voir : dans le sens de comprendre.
Il fallait que le spectateur puisse se dire : j’ai tout vu, mais je n’ai rien vu.
Et pourtant c’était là, sous mes yeux.
J’ai compris que c’était une notion essentielle de l’inceste, ou l’emprise : cet isolement est aussi celui opéré par l’absence de regard des autres.

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Pour mettre en pratique ces intentions, j’ai choisi de tourner avec une Sony Venice et les optiques FF Sigma Prime : j’ai alterné l’utilisation du FF, principalement pour utiliser le 35 mm en intérieur, la maison était extrêmement petite. Aussi, sur certains plans larges, ce format me permettait d’agrandir certains espaces. Le reste du temps je travaillais le capteur en S35. Aussi, leurs poids/ouverture/minimum de point/prix les rendent particulièrement adaptables dans des situations extrêmes, car nous n’avions pas les moyens de panacher la série principale. Ceci étant dit, il m’a manqué une texture plus en volume dans l’évolution de la profondeur de champ et des flous, ainsi qu’une qualité de flare que j’ai parfois retravaillée en filtrant, "texturisée" en étalonnage.

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Nous avons fait des essais sur les comédiens pour doser le maquillage dans l’évolution du film sur leurs peaux : Finnegan et Aline ont une carnation radicalement différente en coloration et brillance qui nécessitait parfois des traitements complémentaires et évolutifs. Nous analysions ces essais en projection et discutions avec la maquilleuse, Aurélia Gautier : soit j’avais la main en lumière, soit il s’agissait qu’elle ajuste, affine ou renforce.
Avec Charles Fréville à l’étalonnage, nous avons fabriqué une LUT assez engagée dans le pied de courbe avec ajout conséquent de bleu, puis désaturation forte des couleurs en global. Deux types de LUTs ont été créés, une pour le jour, l’autre pour la nuit : avec le peu de moyens dont nous disposions, j’ai travaillé les nuits avec une courbe plus douce et à 5 000 ISO, pour pouvoir aborder les extérieurs de façon économe à la prise de vues.
Sur le tournage, Laetitia Duvert, la cheffe électricienne, a fabriqué de grandes toiles de teintes aux dominantes bleu, safran et rouge. Selon les séquences, ces toiles me permettaient de compléter le remplissage des ombres, les variations des éléments extérieurs, pour renforcer la couleur au début du film et la faire disparaitre progressivement. Dans les forêts, je renforçais en rouge les visages, très légèrement, pour que les carnations ne subissent pas le retrait de couleur général du film.

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Angela, à propos de l’eau : « C’est un espace parallèle, que son père lui transmet mais qui devient pour elle l’endroit de la joie et de la puissance, parce qu’elle peut respirer plus longtemps que lui. Je voulais que l’eau soit rouge, quelque chose qui évoque l’intérieur du ventre. Pour les matte paintings de la première scène, nous avions pour références des photos de vie utérine… »

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Angela a cadré tous ses films. Pour Paula, elle tenait à me confier la caméra. Ceci étant dit, elle a une vision très instinctive et nette de ses cadres. Je dirais qu’elle compose d’abord une photographie. Elle place minutieusement la caméra dans le décor, la fixe et ensuite intègre sa mise en scène dans ce rectangle. Les premiers jours m’ont déroutée : il me semblait travailler à l’envers. J’ai pour habitude de partir des comédiens pour confronter le découpage prévu et le cas échéant, l’adapter à ce qui est désiré juste au regard des répétitions… Et à la fois, j’étais surprise de voir le réel entrer dans ses compositions, prendre forme, la voir établir ses directions aux comédiens et tout cela devenir sa mise en scène.
A cette étape elle interrogeait mon regard pour intégrer des éléments peut-être plus organiques à son récit, notamment lorsque je cadrais à l’épaule. A d’autres moments, j’avais l’impression de tordre ma caméra pour entrer dans son point de vue.
Angela partage beaucoup de choses avec son personnage et forcément, parfois, c’était dur pendant le tournage : le passé rejaillit et se mêle à la fabrication…
Il me semble avoir pu l’accompagner dans la connexion nécessaire entre ses visions fortes et l’ensemble de la grammaire de son récit : le film mélange différents genres et plus l’on avance, plus il s’agit de faire monter la tension jusqu’à ce que Paula craque, au point de non retour.
Ce que le récit touchait parfois discrètement jaillissait dans ses images comme une fulgurance : l’inceste jamais décrit comme tel revenait dans les cadres que le père "pénétrait", "frottait".

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Pour finir, ce film a été tourné avec une équipe très solide qui avait un réel engagement pour ce récit. Malgré une économie fragile, il nous a été possible de répondre au contrat esthétique du scénario sans lequel il me semble que le film aurait perdu un élément fort dans sa construction narrative.
Pour cela je remercie chaque membre de cette équipe joyeuse et engagée.
Je remercie aussi pour leur soutien presque "altruiste", Panavision, Transpalux et TSF, nos prestataires techniques, ainsi que Micro Climat Studios pour le laboratoire.

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Équipe

« On dirait pas mais ce sont les chefs de postes, il y a eu un accident, des remplacements, une session été, une session automne… Bref, du monde qui se relaie dans une mini équipe ! » (LB)

Opérateurs Steadicam : William Oger, Simon Veniel
Assistantes caméra : Aurélie Blin, Marc Stef, Cyrille Hubert, Anouck Matthieu
Cheffes électriciennes : Laetitia Duvert, Denis Louis
Chefs machinistes : Bruno Cellier, Simon Armengot
Etalonneur : Charles Fréville et Julian Nouveau

Technique

Matériel caméra : Panavision (Sony Venice 1 et série Sigma Prime FF)
Matériel lumière : Transpalux
Matériel machinerie : matériel de Bruno Cellier et complément chez TSF Grip
Laboratoire : Micro Climat Studios

synopsis

Paula a 11 ans. L’école l’ennuie et elle n’a qu’un seul ami, Achille. Son père lui fait une surprise : ils vont passer l’été dans la maison de ses rêves au bord d’un lac. Mais le temps file, l’automne approche et ils ne rentrent toujours pas.