"La Sortie des usines Lumière" tournée par Wim Wenders, 15e Prix Lumière
Par Gilles Porte, AFC, directeur de la photo du remake du film des frères LumièreAprès avoir suggéré à Thierry Frémeaux de scier ces bornes, nous décidons de rapprocher dans l’axe la caméra Panavision Panaflex Millennium 35 mm et la Sony F65 dont la fonction est de retransmettre cette sortie quasiment en direct. Aidés par les deux zooms Panavision 17,5-75 mm, nous raccourcissons les focales et montons les deux caméras sur pied. Comme par hasard, nous nous retrouvons à la hauteur du regard de Wim Wenders. Lorsque je vérifie le cadre dans l’œilleton, je me mets sur la pointe des pieds constatant les centimètres qui me séparent du cinéaste allemand tout en ayant une pensée pour l’immense Pierre-William Glenn à qui je dois ma présence ici depuis quatre ans.
Wim joue avec l’obturateur des caméras. Nous tournons la première prise à 172,8°, la deuxième à 90° puis finalement les deux suivantes à 270°, « pour avoir un flou de mouvement qui se rapproche de celui des frères Lumière » (sic). Jean-Jacques Annaud sort un instant de son rôle de figurant et nous suggère de tourner à 18 images par seconde, sous le regard attentif de Costa Gavras.
Lorsque la prise à 18 images/seconde passe dans la salle de projection de l’Institut Lumière, devant des invités redevenus spectateurs, Wim souligne avec humour qu’« en accéléré, ça sera mieux pour Rüdiger Vogler », l’acteur fétiche du Prix Lumière 2023, qui ferme la marche de cette sortie 2023...
Que ce soit avec les frères Dardenne (L’éditorial de novembre 2020), Jane Campion ("C’est difficile, comme métier, pour apprendre les caméras ?"), Tim Burton ("La Sortie des usines Lumière" 2022 tournée par Tim Burton), La Sortie des usines Lumière du Festival Lumière se déroule toujours au moment le plus délicat de la journée pour un directeur de la photographie. J’ai beau vérifier chaque année la course du soleil - comme si celle-ci pouvait changer – chaque fois, je fais le même constat : entre 14h et 15h, le soleil est "face" (c’est-à-dire dans le dos des caméras) et il passe derrière un immeuble à 14h15’ plongeant ainsi une partie du cadre dans l’ombre tandis qu’une autre baigne au soleil, imposant aux images un très fort contraste que je diminue en branchant trois 4 kW en direct à travers des cadres de diffusion et non pas une seule toile de 4 par 4. Si ce tournage doit permettre d’immortaliser une sortie, il doit également permettre à des spectateurs lyonnais d’y assister...
Avec Wim Wenders, des nuages s’invitent à la danse. Logique pour un cinéaste qui a passé la plupart de son temps à tourner sur des chemins de traverse, en dehors des autoroutes, des studios... Le regard plongé dans mon verre de contraste afin qu’il observe mieux ce qui se passe au-dessus de nos têtes, il me dit alors en souriant : « Ça peut être beau des fausses teintes, Gilles, non ? ».
Ces quelques instants en compagnie de Wim Wenders me rappellent des confidences que m’avait confiées Agnès Godard, assistante caméra au côté de Robby Müller sur Paris Texas, puis au côté d’Henri Alekan sur L’État des Choses et au cadre sur Les Ailes du désir : « Wim Wenders n’a de cesse d’être à l’écoute de la nature et de celles et ceux avec qui il collabore tout en ayant une idée très précise de ce qu’il souhaite tourner... ».
Wim Wenders a-t-il su un jour que sa première assistante caméra sur L’État des choses n’avait absolument rien fait lorsque Henri Alekan a proposé à Agnès Godard de l’accompagner ? Pas le temps de poser cette question à Wim, happé par les mondanités pour inaugurer sa plaque en cuivre, rue des frères Lumière... Mais que cet article me permette d’énoncer clairement aux étudiant(e)s, aux lycéens et aux collégiens croisés à Lyon ce qu’avait répondu Henri Alekan lorsque Agnès Godard - qui a la carrière que l’on sait - lui avait confié qu’elle ne pouvait pas accepter ce premier tournage en raison de son manque cruel d’expérience : « Ça n’a pas d’importance... il n’y a que moi qui le sais. »