La directrice de la photographie Charlotte Bruus Christensen parle de son travail sur "The Hunt" de Thomas Vinterberg
Depuis elle a signé l’image de deux autres films, Hunky Dory du réalisateur gallois Marc Evans, et Min bedste fende, du Danois Oliver Ussing. C’est le même Thomas Vinterberg qui lui offre sa première sélection cannoise cette année avec The Hunt (La Chasse).
Comment avez vous préparé The Hunt ?
Charlotte Bruus Christensen : Avant de commencer le film, je me suis constitué un petit recueil de références visuelles, principalement à partir de photos collectées sur Internet... Ça m’a servi pour déterminer les ambiances des lieux principaux du film, comme la forêt, les deux maisons dans lequel se déroule une grande partie de l’action, où l’école maternelle.
Parmi les images que j’avais sélectionnées, je me souviens notamment qu’il y avait certains plans de Voyage au bout de l’enfer de Cimino, surtout en ce qui concerne les séquences tournées dans les bois. Il y avait aussi Fanny et Alexandre de Bergman pour ses intérieurs où la lumière très chaude – parfois la base de bougies – tranche énormément avec les découvertes bleutées venant des fenêtres, et puis Les Evadés de Franck Darabont, éclairé par Roger Deakins, BSC, ASC.
Vous avez fait votre premier film en tant que chef opératrice avec le même Thomas Vinterberg, (Submarino). Y a-t- il, selon vous, des passerelles avec The Hunt ?
CBC : Les liens qu’on pourrait établir avec Submarino reposent sur le style, et sur cette manière si particulière de coller aux personnages quand Thomas raconte une histoire. Ça me paraît clair que les deux films sont des films très mentaux, avec un personnage central, et une histoire très sombre...
La différence, c’est que dans The Hunt, je trouve que Thomas a essayé de commencer son film sur un ton plus léger, parfois même comique pour ensuite basculer plus radicalement dans le drame quand l’inexplicable se produit... Quoi qu’il en soit, les deux films sont tournés dans un style réaliste. Comme ce petit village danois qui devait ressembler à n’importe quel village dans le monde, où le personnage de Lukas interprété par Mads Mikkelsen à qui on doit pouvoir instantanément s’identifier.
Il ne fallait pas que l’image soit trop belle, trop apprêtée... J’ai le sentiment qu’il voulait que ce film soit fondamentalement " les pieds sur terre ". En termes techniques, ça s’est traduit par un tournage entièrement en décors naturels avec une caméra presque toujours tenue à l’épaule.
Sur ce point, ce n’était pas la chose la plus facile pour moi vu que le tournage a commencé alors que j’étais enceinte de six mois, et qu’il a fallu mettre au point un dispositif particulier pour je puisse à la fois soutenir la caméra et me permettre une certaine liberté de mouvement avec mon ventre déjà bien arrondi...
Quelle a été la solution ?
CBC : J’ai utilisé la plupart du temps un Easy Rig, mais comme la ceinture était pour moi difficile à boucler sans trop presser sur mon ventre, on a mis au point avec le chef machino un support d’accroche permettant d’installer l’Easy Rig sur une dolly. De cette manière, la caméra reste suspendue comme à l’épaule, mais le poids est entièrement supporté par la colonne.
Comment avez-vous accompagné l’histoire à travers l’image du film ?
CBC : L’ouverture du film se déroule à la fin de l’automne, avec des tonalités très chaudes, les feuilles qui jaunissent, le soleil rasant... Une ambiance très chaleureuse qui va peu à peu évoluer alors que le drame se met en place. Les couleurs assez vives perdent peu à peu de leur intensité, l’hiver s’installe et une certaine froideur se ressent, à travers les découvertes notamment.
On a alors pas mal joué sur le contraste entre les intérieurs très chauds et les extérieurs froids et la neige... Tout ça était littéralement dans le script qui était lui-même chapitré par mois. Comme on a tourné le film entre novembre et décembre 2011, l’ambiance naturelle était là ! La seule difficulté a été d’affronter un tournage où 75 % des scènes sont en jour avec des journées de tournage aussi courtes... Par exemple, pour tout ce début de film, où le soleil rentre souvent dans les maisons, j’ai par exemple eu souvent recours à un Softsun un peu diffusé afin de conserver le raccord. Pour les scènes hivernales, des HMI étaient utilisés en réflexion, puis diffusés pour tricher la lumière naturelle très douce qu’on a chez nous en cette période...
Avez vous utilisé des sources en intérieur ?
CBC : Du point de vue du dispositif technique, Thomas souhaitait retrouver la liberté qu’il avait pu avoir sur un film comme Festen. Alors bien sûr il ne s’agissait pas de retrouver exactement les principes très restrictif du " dogme " à l’image, mais quand même de s’en approcher.
Par exemple, il fallait qu’on puisse tourner à peu près dans tous les axes à l’exception d’un petit angle mort sans encombrer le plateau avec un grill technique et des projecteurs. La mise en place se résumait donc pour moi à faire venir de la lumière par l’extérieur. Et ensuite rattraper et doser le contraste à l’aide de réflecteurs ou des sources de figuration.
Vu la sensibilité de la caméra, j’ai aussi utilisé beaucoup de tissus noirs pour garder un peu de parties sombres malgré les murs blancs des décors, en me basant presque toujours sur la lumière venant des découvertes. Ce qui était magique pour moi dans ce contexte, c’est de voir travailler des acteurs comme Mads Mikkelsen, qui sont capables d’intégrer à leur jeu un tel dispositif minimaliste et d’exploiter au mieux ces conditions de tournage semi documentaire. Je dois aussi saluer l’immense talent de notre jeune comédienne de sept ans qui porte littéralement le film sur ses épaules.
Et quel matériel caméra avez-vous choisi ?
CBC : En ce qui concerne la caméra, vu le peu de projecteurs, et la volonté de Thomas de tourner dans des conditions quasi documentaire, on s’était dit au départ qu’on allait tourner en 35 mm. Et puis le budget nous l’a pas permis. L’Alexa a pris la place d’une caméra 35 mm, et j’ai dû adapter ma technique de travail à cet outil.
En matière d’optiques, je voulais tourner à l’origine avec des Cooke S2, mais la sensibilité du capteur à la couleur rouge et le manque d’uniformité de cette série m’a fait renoncer. Après des tests, j’ai choisi de tourner avec les nouveaux Cooke Panchro, une série d’objectifs qui reproduit un peu dans l’esprit un coté " vintage " assez doux, et qui n’ouvrent qu’à 2.8. Comme je le disais, le cinéma de Thomas Vinterberg est très proche des personnages, et mettre en valeur les visages et les yeux est toujours resté pour moi la priorité n°1 du film en matière de lumière.
(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)