Quand Alice Rohrwacher parle de sa collaboration avec Hélène Louvart, AFC

Contre-Champ AFC n°350

L’actualité du mois mettant en lumière l’œuvre de la cinéaste italienne Alice Rohrwacher, de la sortie sur les écrans – le 6 décembre – de La Chimère à la rétrospective intégrale de ses films au Centre Pompidou – du 1er décembre au 1er janvier 2024 –, plusieurs articles reviennent sur son travail de collaboration avec la directrice de la photographie, Hélène Louvart, AFC. En voici quelques extraits...

Publié par le Centre Pompidou
[...] La caméra d’Hélène Louvart, collaboratrice attitrée d’Alice Rohrwacher, est chevillée à la jeune fille, l’accompagnant dans la scrutation de son corps en plein bouleversement et la suivant dans sa recherche d’un espace libre et accueillant, au sein de magnifiques plans-séquences. « Au début, c’était très drôle, on a tourné Corpo celeste et Les Merveilles presque attachées, c’est-à-dire qu’Hélène avait la caméra à la main et moi je prenais Hélène dans mes bras. Et avec de petites caresses, elle sentait mon regard : on voit dans les films des mouvements pas forcément liés à la narration, des mouvements plutôt intérieurs. Souvent la caméra bouge non pour suivre l’action mais pour suivre un regard. » [...]

Publié par le CNC
[...] Depuis votre premier long métrage Corpo celeste, vous travaillez avec la cheffe opératrice française Hélène Louvart. Quelle est la nature de votre collaboration ?
Ensemble, nous parvenons à construire un regard commun, mieux, une présence commune. Au moment de la production de mon premier film Corpo celeste, pour les besoins d’une coproduction avec la France, on m’a proposé plusieurs chefs opérateurs. Le travail d’Hélène Louvart était très différent de film en film, il n’y avait pas un style qui s’imposait… Ce qui a fait la différence, c’est sa personnalité.

Et un goût commun pour le celluloïd…
Au moment du tournage de Corpo celeste en 2011, nous avons effectivement tourné en pellicule, ce qui, à l’époque, n’avait rien d’original. Le numérique ne s’était pas encore imposé partout. C’est ensuite que les choses se sont accélérées…

Pour autant vous avez continué à travailler à partir de ce support… Pourquoi ?
Le numérique implique un contrôle absolu de l’image. Avec la pellicule, on travaille un support vivant donc avec une grande part d’incertitude. Cela demande d’être gentil avec elle, un peu comme avec un animal. J’aime le décalage qui peut exister entre l’image enregistrée au tournage et celle finalement obtenue. J’envisage le cinéma comme un artisanat. Utiliser de la pellicule ne répond pas à une motivation esthétique, cela tient plus du sensible, un travail vers l’inconnu. Dans La Chimère, nous avons créé une créature hybride avec différents formats : le 35 mm, le Super 16… C’était cohérent avec la pensée même du film. [...]

Publié par le Festival de Cannes en mai dernier
[...] L’image est une nouvelle fois signée Hélène Louvart. Visuellement, de quelle manière avez-vous pensé le film ?
Nous avons travaillé avec trois formats de pellicule : le 35 mm, qui se prête à la fresque, à l’iconographie, à la grande page illustrée qui interrompt les livres de contes de fées ; le Super 16 mm, qui a une densité narrative et une capacité de synthèse inégalée et qui, comme une écriture magique, parvient à nous faire entrer directement au cœur de l’action ; et le 16 mm, depuis une petite caméra amateur, comme des notes au crayon sur la tranche d’un livre. Nous avons donc essayé d’entrecroiser des fils très éloignés, comme dans une tapisserie orientale, et de jouer avec la matière du film : ralentir, accélérer, chanter, figer l’image, fixer et écouter. [...]

Publié dans Le Monde
« Alice Rohrwacher aime mélanger différentes façons de filmer. »
Entretien

L’actualité met sur le devant de la scène Hélène Louvart, la directrice de la photographie et fidèle collaboratrice d’Alice Rohrwacher, alors que sort en salles La Chimère, quatrième long métrage de la réalisatrice italienne, conte rural et fellinien sur des pilleurs de tombes étruques, en compétition à Cannes. [...]

Vous travaillez avec Alice Rohrwacher depuis son premier long métrage, Corpo celeste. Comment l’avez-vous rencontrée ?
Alice avait vu mon travail sur le film de Pablo Agüero, Salamandra (2010) : elle avait eu l’impression de voir une lumière qui ne ressemblait pas à une lumière de cinéma. Je suis allée la voir en Italie, j’ai senti qu’elle avait quelque chose de très fort, et qu’elle cherchait quelqu’un pour traduire ses idées. Je l’ai aidée sans l’empêcher d’aller au bout de ses choix esthétiques.

La Chimère démarre sur une image noire, avant un jaillissement de lumière et l’apparition d’un visage féminin ; Les Merveilles s’ouvrait la nuit, sur un terrain éclairé par des phares... Qu’est-ce que cela raconte et comment qualifieriez-vous la lumière dans les films d’Alice Rohrwacher ?
Alice aime commencer ses films comme elle ouvre une première page. Pour le premier plan de La Chimère, j’avais mis l’obturateur de la caméra, puis je l’ai enlevé pour obtenir cet effet - on n’a pas fait ça en postproduction. Le vrai plaisir d’Alice, c’est de tourner en pellicule Super 16 : il y a ce côté organique et vivant, avec des défauts et des qualités, qui correspond totalement à ce qu’elle recherche. Ensuite, elle aime bien mélanger différentes façons de filmer. [...]

(Propos recueillis par Clarisse Fabre pour Le Monde du mercredi 6 décembre 2023)