Festival Manaki Brothers 2024, 45e édition
Manaki Brothers, à Bitola, un festival à taille humaine et qui doit le rester
Par Nathalie Durand, vice-présidente de l’AFCLe festival Manaki Brothers est un festival de taille modeste mais riche en possibilités de rencontres. Comme les évènements liés au festival se déroulent tous dans un petit périmètre, on se croise facilement. Le restaurant de l’Hôtel Epinal restant un lieu stratégique (Bitola et Epinal sont des villes jumelées).
La sélection de la compétition principale regroupait des films déjà présents dans d’autres festivals, parfois primés. Il y a eu des choix un peu étranges, sûrement plus pour la renommée que pour l’originalité ou la qualité. On peut regretter qu’il n’y ait eu aucun long métrage français, possiblement à cause de problème de droits, peur de piratage...
Par contre, l’avenir de la cinématographie française semble assuré. Le prix pour la photo du court métrage est allé à Kinan Massarini pour A Good Boy (Un bon garçon), de Paul-Vincent de Lestrade, et le prix pour la photo du film d’École a été décerné à Margot Besson pour Anansi, de Aude N’Guessan Forget (La Fémis, Image 2020).
Pour la compétition Lo-Cap (j’ai cru comprendre que c’était pour Low Capacity ce qui me semble un peu réducteur…), sept films concourraient dont Toxic, film lituanien qui a reçu le prix. Les films de cette sélection venaient plutôt des Balkans, en tout cas une production plus régionale. J’ai été impressionnée par Safe Place, film slovène, un fort parti pris dans les cadres et la lumière.
Dans la section documentaire, six films dont le marocain The Mother of All Lies, de Asmae El Moundir qui a été primé.
On a eu la chance de voir (ou revoir pour certain e s) le documentaire de Claire Pijman sur Robbie Müller, Living the Light. C’est un véritable poème, une ballade avec les images en HI8 tournées par Robbie, souvent lors de ses déplacements, sans doute pour envoyer à sa famille. C’est un document extrêmement sensible. Dans tous ses déplacements, au cours des tournages, Robbie a fait des Polaroïds, des photos mais aussi beaucoup de vidéos. C’est très émouvant de suivre son regard sur les chambres d’hôtel et souvent revenir à lui dans le miroir, un regard, une interrogation, un sourire complice. Chaque plan parle de lui, de cette solitude qui nous étreint quand on se retrouve sur les tournages, loin des nôtres, de nos enfants. Et surtout chaque plan regarde, magnifie l’espace, pointe la fenêtre… cherche la lumière. On connaît ses Polaroïds, Andréa sa compagne que j’ai rencontrée lors du festival travaille à l’édition d’un livre qui en rassemble de nouveaux.
Et puis il a été question de la bataille menée par Women in Cinematography pour amener Camerimage à favoriser plus de diversité dans ses sélections, les jurys et autres workshops. Nous nous sommes retrouvées à une bonne dizaine venant d’Espagne, d’Allemagne, des Pays-Bas, des USA, de Pologne, d’Angleterre, de Serbie, de France et même d’Australie… Des discussions informelles mais très enrichissantes sur les différentes perceptions de la condition des minorités dans nos métiers. On en revient toujours à ce plafond de verre qui dans certains pays tiendrait plutôt du plafond de ciment comme l’a dit Teresa Medina, présidente de l’AEC. La mobilisation continue !
A Manaki, la cause des femmes est déjà à l’ordre du jour. Ainsi il y a eu une table ronde au programme : "The Powerful Women in Manaki". Une belle discussion sur les parcours de chacune, les expériences et conseils. Le lendemain lors d’un échange sur le Mentorship nous avons retrouvé Agnieszka Szeliga, Teresa Medina, Alice Brooks et Fabian Wagner. Last but not least, Alice Brooks a reçu un prix à partager avec son Gaffer (c’est un tout nouveau prix honorant la collaboration entre chef
fe op et gaffer) et Nancy Schreiber,ASC a été honorée également par nouveau prix : The Trailblazer Award (le prix de la pionnière) en reconnaissance de son rôle de précurseuse et de modèle pour de nombreuses jeunes femmes.Cette année Bruno Delbonnel était à l’honneur pour l’ensemble de sa carrière et récipiendaire d’une "Caméra 300". Il a eu droit aussi à l’inauguration de son étoile sur le "Walk of Fame" de Bitola ! Mais surtout, c’était passionnant de passer du temps avec lui, de l’entendre lors de sa Master Class et entrevoir, derrière sa modestie, l’étendue de son talent.
Jolanta Dylewska, directrice de la photo polonaise a reçu une "Caméra 300" spéciale pour son exceptionnelle contribution à l’art cinématographique. On a pu voir à cette occasion Tulpan, de Sergey Dvortsevoy, un film kazakh datant de 2008 et d’une extraordinaire vitalité.
J’ai eu la chance d’aller à ce festival en émissaire de l’AFC, avec Sarah Blum qui a fait des entretiens et portraits pour les réseaux sociaux et le site de l’AFC, François Reumont qui a fait aussi des entretiens publiés sur le site. Et Agnès Godard, membre du jury "Caméra 300" qui nous a fait profiter de ses coupons-repas fournis par l’organisation du festival. Jean-Marie Dreujou, qui est un habitué du festival nous a rejoint pour la cérémonie de clôture, entre Lyon et Malte, on pourrait dire entre la poire et le fromage de Kamelott.
On a envie que ce festival reste à taille humaine, loin des considérations économiques du métier. Même si le financement d’un tel évènement pour une petite ville de Macédoine requiert des soutiens de l’industrie (Leitz et Arri notamment étaient là, mais aussi DMG-Rosco, Cooke et quelques autres…). L’Institut français figure également parmi les soutiens. L’ambassadeur de France en Macédoine du Nord est venu redire l’importance des accords de coproduction qui existent entre nos deux pays.
L’AFC doit continuer à soutenir Manaki. Ce n’est pas si courant d’avoir un festival qui honore l’image cinématographique.