Le réalisateur Cédric Nicolas-Troyan et Renaud Chassaing, AFC, parlent à Panavision du tournage des quatre premiers épisodes de la série "Furies"

par Panavision Alga Contre-Champ AFC n°353

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Le réalisateur Cédric Nicolas-Troyan et le directeur de la photographie Renaud Chassaing, AFC, partagent leur vision artistique et leur travail sur le tournage des quatre premiers épisodes de la série "Furies".

Comment avez-vous été impliqués dans le projet ?

Cédric Nicolas-Troyan : J’ai lu dans un magazine que j’étais un réalisateur français qui travaillait aux USA… Je ne suis pas complètement d’accord avec ça. Je pense que je suis plus un réalisateur américain qui est né en France. Pour moi la différence est énorme. En tant que réalisateur, je voulais m’essayer à une série TV. Mais ayant passé dix années de ma vie à Paris, je voulais filmer La Ville. De plus, je n’avais jamais rien réalisé en français ni travaillé avec des acteurs français, et comme j’adore les défis et les premières fois, quand on m’a proposé "Furies", je n’ai pas pu résister.

Renaud Chassaing : C’est par l’intermédiaire de la production Empreinte Digitale que j’ai rencontré Cédric Troyan-Nicolas. Il est français mais vit depuis plus de vingt ans aux USA.

Cédric revenait en France pour réaliser ce projet chez Netflix et cherchait une équipe. Lors d’un premier rendez-vous, on s’est vite entendus sur des références communes, et sur la direction artistique globale de cette série écrite par Jean-Yves Arnaud et Yoann Legave. Cela m’amusait de travailler sur ce genre de série d’action, avec des cascades, des combats, minutieusement chorégraphiés par Jude Poyer et Olivier Sa.

Comment décririez-vous le look du projet ?

CNT : Quand je réalise un film ou une série je trouve deux ou trois couleurs qui sont inspirées par un aspect du projet. Pour "Furies", c’était cyan/vert-de-gris, or/jaune et rouge (en tous cas pour mes épisodes), couleurs inspirées par la Ville de Paris, et des endroits comme l’Opéra de Paris, les toits oxydés, les dorures baroques, etc. J’ai tout conçu avec ces couleurs comme guide. Pour moi, cela harmonise les scènes entre elles. J’aime croire que ça donne un aspect unique au film.

RC : Paris est presque traité comme un personnage dans cette série, et nous avions le souhait de tourner un maximum de séquences de nuit.
Pour moi, c’était primordial car malgré la beauté de cette ville, je la trouve compliquée à photographier de jour. Les façades des immeubles sont blanches/beiges, les rues sont parfois étroites et le rendu photographique me semble souvent terne. Cédric voulait filmer Paris avec une vision très personnelle, il désirait obtenir une image marquée qui s’éloigne du naturalisme. On a décidé de pousser les curseurs sur les couleurs et la densité. Pour les extérieurs jour, il avait très envie d’une teinte vert-de-gris, qui viendrait contrer la pâleur des extérieurs parisiens.

Finalement, trois couleurs devaient définir le look de "Furies" : ce vert-de-gris, du rouge et du chaud orangé pour certaines nuits.
Puis à l’aide de mon étalonneur, Elie Akoka, nous avons créé une LUT contraste qui respectait ce look. Phillipe Chiffre, le chef décorateur, a su intégrer ce code couleur sur les nombreux décors.

Sur l’épisode 6, la réalisatrice Laura Weaver s’est emparée de l’esthétique de Cédric tout en y amenant son univers.

Pour résumer je dirais que l’identité visuelle de la série est une image colorée un peu "pop", avec un certaine densité, et de la texture.


Y-a-il des références visuelles particulières qui vous ont inspirés ?

CNT : L’architecture et les couleurs de Paris, clairement. Spécifiquement tout ce qui est Napoléon III et début du XXe siècle.

RC : Plusieurs films qui utilisent des couleurs dans la narration comme John Wick, The Neon Demon, Last Night in Soho, Atomic Bomb. Le Samouraï, de Jean-Pierre Melville, pour ses nuits bleutées monochromes. Les photographies de nuits colorées des grandes métropoles d’Asie, de Greg Girard, m’ont aussi beaucoup inspiré.

Qu’est-ce qui vous a amenés chez Panavision pour ce projet ?

CNT : Je fais tous mes projets avec Panavision, même les pubs. Je ne sais pas ce que c’est que de tourner avec d’autres objectifs que Panavision. Comme aujourd’hui quasiment tout est filmé en numérique, pour moi, le choix des objectifs est très important. Les séries Panavision ont des identités très fortes. Pour moi, choisir une série d’objectifs, c’est un parti pris narratif.

Mais je pense que c’est aussi une fascination pour des objectifs qui ont fabriqué les légendes hollywoodiennes. Pour moi, travailler avec Panavision, c’est travailler avec des outils légendaires.

RC : La question du choix des optiques s’est posée dès notre première discussion autour de l’esthétique du projet. Cédric ne travaille qu’avec des optiques Panavision, il n’imaginait pas d’autre option. Et il aime particulièrement la série C, avec laquelle il avait tourné ses deux longs métrages. On s’est très vite mis d’accord, car j’apprécie énormément cette série anamorphique, mais je la pensais indisponible dans les dates. Grâce à la ténacité d’Alexis Roposte et d’Alexis Petkovsek nous avons eu la chance de récupérer au dernier moment une série C d’un film américain qui se décalait.


Qu’est-ce qui vous a attirés dans les objectifs spécifiques de la série C que vous avez choisis ?

CNT : La série C est très particulière, elle crée énormément de vie, elle ajoute une couche supplémentaire à la réalité que voit la caméra. Elle fait exister l’espace entre les choses, le vide entre l’objet que l’on filme et la caméra.

Pour moi, chaque distorsion anamorphique, chaque flare ajoute une dimension palpable, une existence physique… L’illusion que ce n’est pas juste un fichier numérique. Pour moi, c’est important.

RC : Je trouve qu’elles ont un rendu unique. Cette série transfigure le réel par ses aberrations et sa texture. Les optiques de cette série C peuvent avoir des différences colorimétriques mais il y a toujours cette diffraction qui vient patiner toute l’image. La sensation organique que provoque cette série et les défauts qui apparaissent à l’écran sont des spécificités qui me semblaient parfaites pour accompagner le ton décalé et les personnages originaux.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir réalisateur et qu’est-ce qui vous inspire aujourd’hui ?

CNT : La magie des films. Je suis dyslexique. J’adorais Jules Verne, mais lire pour moi était difficile et j’avais du mal à l’école. Dans les années 1970, mon père m’a emmené au cinéma pour voir Ving milles lieux sous les mers (R. Fleischer, 1954) et c’était merveilleux. Les films ont créé ces centaines d’endroits où je pouvais aller rêver. Mon rêve s’est mué en désir de participer à une aventure, comme celle de réaliser un film, de raconter des histoires.

Je ne savais pas vraiment dans quelle mesure je ferais partie de ce monde qui paraissait si lointain mais chaque fois que j’avais l’opportunité de prendre une décision qui me rapproche de ce rêve, je l’ai prise. Ce n’était pas évident, et il fallait y croire. Ma première décision a été de faire ma valise et d’aller à Paris.

Ce qui m’inspire, c’est l’inconnu. J’ai toujours été comme ça, et je crois que je ne changerai pas.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir directeur de la photographie et qu’est-ce qui vous inspire aujourd’hui ?

RC : Je me souviens que, très tôt, j’étais fasciné par l’objet caméra, sans trop savoir pourquoi. Puis j’ai eu un appareil photo entre les mains et j’ai pratiqué la photo argentique en labo. Plus tard, je me destinais finalement à préparer le concours de l‘école Louis-Lumière en section Son. C’est lors d’une conférence à la Cinémathèque d’Henri Alekan que j’ai vraiment découvert le métier de directeur de la photographie. Ça a été une révélation et j’ai changé mon orientation…

Aujourd’hui ce qui m’inspire ce sont les rencontres, découvrir les univers de réalisatrices, de réalisateurs. J’essaie de rester ouvert aux propositions assez diverses, et ce qui m’intéresse le plus maintenant, ce n’est pas de faire la belle image, mais de trouver une cohérence artistique sur chaque projet. Je trouve passionnant la recherche de la bonne photographie qui correspondra à la vision de l’auteur, le visionnage d’anciens films, la découverte de premières œuvres, de séries. Ce métier déforme aussi la vision au quotidien, je me sens en alerte visuelle en permanence, donc j’essaie de voir un maximum d’expositions de photos, de peinture.