Le musée de Mossoul en Irak (2015), les mausolées de Tombouctou au Mali (2012), les Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan (2001). « Misérables hommes, et si imbéciles qu’ils ne comprennent même pas qu’ils sont des barbares ! Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire, c’est dépasser son droit. » Cette réflexion de Victor Hugo dans le manifeste Guerre aux démolisseurs conserve deux siècles plus tard sa sinistre actualité…
Le mardi 24 février 2015, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêté d’extension de la convention collective de la production cinématographique. Donner un cadre légal aux professions du cinéma serait néfaste à sa diversité selon certains. Nous pensons évidemment qu’aucun film ne mérite d’être abandonné au bord de la route. Les mécanismes qui permettront d’y parvenir ne doivent cependant pas se retourner contre ceux qui fabriquent ces films, y compris – et surtout – dans un contexte économique particulièrement difficile.
Nous étions en 1990. Les Français s’étaient faits longtemps attendre, l’ASC américaine avait déjà 72 ans et la BSC anglaise, 41. Derobe, Glenn, Strouvé – nostalgie du temps où les génériques faisaient l’économie des prénoms – bientôt rejoints par Serra, Lhomme, Lenoir et Alazraki, créent l’association. Loiseleux, le spécialiste, rédige les statuts. Les fabricants de pellicules, tout puissants à cette époque, sont les premiers bienfaiteurs. Comme présidents d’honneur, trois incontournables : Kelber, Alekan et Coutard, comme premier président : Lhomme.
Il en va des outils comme des hommes qui les manipulent, ils meurent. Il est des disparus dont on pense qu’ils « ont fait leur temps » et que « c’était peut-être mieux comme ça ». On pense que leur disparition valait mieux qu’une lente agonie, qu’un pénible chapelet de souffrances. On est triste, c’est tout.
Les studios de Bry-sur-Marne se meurent alors qu’ils représentent l’un de nos plus beaux outils de travail. Nous ne pouvons laisser partir en fumée la qualité de nos installations techniques cinématographiques : après le démantèlement préparé et mis en scène par de lointains financiers avides de résultats économiques, l’ensemble des installations que nous utilisons encore tous semble voué à un avenir de destruction à plus ou moins courte échéance.
Dans un communiqué de presse daté du 15 juillet 2014, la Ficam (Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia) s’alarme de « la disparition des films les mieux financés (- 63 % pour les films compris entre 4 et 10 M€ de budget – disparition des budgets compris entre 4 et 5 M€) qui engendre une perte de valeur de 38 % pour les industries techniques. »
L’AFC n’est pas un syndicat ! Ça se saurait… Cela n’empêche pas certains de nos membres d’être syndiqués par ailleurs, au SPIAC-CGT et au SNTPCT exclusivement. Mais il ne faut pas tout mélanger, nous sommes une association professionnelle dont le but est de « défendre l’existence d’une image cinématographique de qualité ». En principe, notre domaine d’intervention s’arrête là.
Ce mot mystérieux qui sent bon le sous-bois, désignait autrefois ce que nous appelons aujourd’hui d’une façon beaucoup plus triviale les " consommables ". Colonne honnie du devis des directeurs de production, ces fongibles viennent par nature alimenter nos montagnes de déchets et d’encombrants. Ils finissent au pied d’un réverbère, la communauté s’occupera d’en assumer le recyclage.
Il y a quelques années, l’argentique vivant son apogée, je me rappelle un conseil que m’avait donné un étalonneur de laboratoire cinématographique. Je n’étais alors qu’un très jeune opérateur débutant et il m’avait encouragé à remplir mon négatif, à le surexposer afin d’obtenir pour le film que je tournais une image bien contraste et bien saturée en couleur, et en tirant le positif dans les hautes lumières autour de 45-40-40. A contrario, tirer sur le négatif sans limite amenait une image grise et désaturée en couleur.
La transition fulgurante de l’argentique vers le numérique en bouleversant nos habitudes a aussi modifié notre vocabulaire. Rarement pour le meilleur, souvent pour le pire… Les acronymes et les sigles ont envahi nos conversations. Les contresens absurdes aussi.
Un groupe constitué de réalisateurs, de techniciens et de producteurs s’est réuni du 20 août au 17 octobre sous l’égide du CNC, à raison d’une réunion de quatre heures par semaine. Sa mission était de « réfléchir à des propositions qui permettent de mieux financer et exposer le cinéma d’auteur dans toute sa diversité, tout en portant une attention particulière aux premiers et deuxièmes films, garant de l’émergence de nouveaux talents ».
Après d’âpres négociations, l’Avenant de révision de la convention collective de la production cinématographique a finalement été signé le 8 octobre 2013. Si certains pensaient encore que le terme d’avenant était synonyme de sympathique, de bienveillant ou d’aimable lorsqu’il est un adjectif, ils viennent de comprendre qu’il n’en est rien lorsqu’il devient un nom : c’est alors un « acte par lequel on modifie les termes d’un contrat »... Voici donc une tentative de vulgarisation d’un avenant avenant (sic).
On vous le dit : les métiers du cinéma sont des métiers à part, ils ne ressemblent à aucun autre. Voici l’argument souvent repris pour justifier une dérégulation au doigt mouillé de toute une branche d’activité…
Détroit. La ville est en faillite. Les mastodontes de l’automobile sont partis construire des limousines sous des cieux plus arrangeants. Ceux qui n’ont pu partir tentent de survivre. Et la vie continue...
Le mois de juin fut propice aux grandes agitations. De ces bouleversements qui ne manqueront pas de façonner le cinéma de demain… Chronologiquement, la première de ces agitations concerna les outils. Nos outils. Les caméras et les enregistreurs audio numériques.
Cannes, 1987. La Palme d’or est attribuée à Sous le soleil de Satan. Son réalisateur, Maurice Pialat, monte sur scène sous les huées et, brandissant son poing en direction d’un parterre de privilégiés endimanchés, il lance : « Vous ne m’aimez pas… Je ne vous aime pas non plus ! » Au moins, ça avait le mérite d’être clair. Cannes, 2013. Autre époque, autres privilégiés endimanchés assistant à la remise de la Palme d’or à Abdellatif Kechiche pour La Vie d’Adèle. Le cinéma français rayonne toujours et l’on feint de s’aimer.
Aaton va mal. La terrible nouvelle vient de tomber : Aaton est en redressement judiciaire (lire le communiqué de Jean-Pierre Beauviala). Pendant ce temps, on se chamaille. Pendant ce temps, on fait plus de films que jamais, pour moins cher que jamais, en moins de temps que jamais…
Un choix fondamental semble se mettre en place dans le monde du cinéma, un choix grave mais nécessaire, un choix qui aurait dû être pris depuis longtemps et qui a laissé une zone de non droit s’installer, une zone dangereuse où le droit du travail disparaît. Oui, l’industrie cinématographique française n’a plus le droit de travailler sans règles, et elle doit se doter d’une convention collective étendue respectant droit du travail et créativité. Serait ce incompatible ? Je ne crois pas.