A Hollywood, il est difficile d’exister si l’on est une femme

La Lettre AFC n°208

Le Monde, le 2 avril 2011

Une étude sur l’emploi des femmes dans le cinéma américain vient d’être rédigée par Martha Lauzen, de l’université de San Diego (Californie). Le résultat n’est pas brillant. Seulement 10 % des films produits en 2010 ont été écrits par des scénaristes femmes.

« Nous établissons une relation quantitative entre le nombre de femmes travaillant dans le cinéma et celui des personnages féminins à l’écran », commente Martha Lauzen. « Les films sont les architectes de notre culture, qui est appauvrie par ce manque de diversité. »
Pourtant, à Hollywood, entre 1912 et 1925, la moitié des films étaient imaginés par des scénaristes femmes. « Puis, ça ne cesse de baisser pour arriver à 30 % en 1930 », affirme l’historienne du cinéma Cari Beauchamp, qui a établi ces statistiques à partir de documents de la Bibliothèque du Congrès.

Cari Beauchamp est l’auteure d’une biographie de la scénariste Frances Marion, qui remporta, en 1931, l’Oscar du meilleur scénario pour The Champ, réalisé par King Vidor. Elle explique la dégringolade après 1930 : « Quand le cinéma est devenu une grosse industrie et que Wall Street s’en est mêlé, alors les hommes ont pris les boulots. »
Ça n’a plus changé. Les 250 films qui ont fait les meilleures recettes aux Etats-Unis en 2010 (10,5 milliards de dollars), employant 2 649 personnes, sont passés au crible : les femmes ne sont que 16 % dans les corps de métier principaux (réalisateurs, producteurs exécutifs, directeurs de la photo, monteurs, etc.). Un point de moins par rapport à 1998, l’année du premier rapport publié par le centre de San Diego.
Pour les cinéastes, le chiffre est encore moins brillant. 2010 a vu pour la première fois une femme remporter l’Oscar du meilleur réalisateur et du meilleur film : Kathryn Bigelow, pour Démineurs. Mais, cette même année, seulement 7 % de femmes se sont vu confier la réalisation d’un long métrage (moins 2 points par rapport à 1998), alors qu’elles sont 15 % à siéger au conseil d’administration de grandes entreprises.
Le métier de monteur, traditionnellement plus féminin en France, est occupé par seulement 18 % de femmes aux Etats-Unis. Le pire secteur est celui de chef opérateur : 2 % de femmes.

A quand l’effet Bigelow ? « Je crains que sa victoire n’ait pas beaucoup d’impact ! », répond Martha Lauzen. « Les studios ne cherchent plus à faire de grands films, mais à éviter les risques - et ils considèrent les femmes comme un risque. Donc ils feront à l’avenir des remakes, des suites, qui comporteront un pourcentage élevé de protagonistes mâles. » Ce qui fait dire à Melissa Silverstein, cofondatrice de l’Athena Film Festival de New York : « S’il s’agissait de grosses entreprises hors du cinéma, une commission à la diversité serait mise en place. Comment imaginer une industrie du XXI e siècle dont seulement 10 % des capitaines sont des femmes ? »

Claudine Mulard, Le Monde, 2 avril 2011