festival de Cannes 2013

Le directeur de la photographie Alex Lamarque, AFC, parle de son travail sur "Né quelque part", de Mohamed Hamidi

par Alex Lamarque

Alex Lamarque commence sa carrière de directeur de la photographie au côté d’Olivier Dahan sur son premier long métrage, Frères : la roulette rouge, et reste son fidèle collaborateur sur des courts métrages, de nombreux vidéo clips et quatre autres longs métrages : Le Petit Poucet, La Vie promise, Les Rivières pourpres 2 et Les Seigneurs. Directeur de la photo très sollicité dans le domaine de la publicité, il a également participé aux films Da Vinci code et Arthur et les Minimoys en tant qu’opérateur 2e équipe. Parallèlement à son travail sur de nombreux films commerciaux, ce premier long métrage de Mohamed Hamidi, en Compétition officielle, lui permet de renouer avec le cinéma.

Synopsis
Farid, jeune Français de 26 ans, doit aller en Algérie pour sauver la maison de son père. Découvrant ce pays où il n’a jamais mis les pieds, il tombe sous le charme d’une galerie de personnages étonnants dont l’humour et la simplicité vont profondément le toucher. Parmi eux, son cousin, un jeune homme vif et débrouillard, qui nourrit le rêve de pouvoir rejoindre la France...

Alex Lamarque sur une grue Panther Galaxy - Photo John Tobleronne
Alex Lamarque sur une grue Panther Galaxy
Photo John Tobleronne


Comment avez-vous rencontré Mohamed Hamidi ?

Alex Lamarque : C’est un choix de Nicolas Duval, le producteur de chez Quad, que je connais depuis longtemps. Mohamed Hamidi est un ex prof d’économie, qui a commencé à faire de la musique pour Djamel, puis il a écrit ses textes et mis en scène ses spectacles. Comme il n’a jamais réalisé de film, il n’avait aucune connaissance du plateau. L’idée de Nicolas Duval a été d’épauler le réalisateur avec un chef opérateur expérimenté (c’est ce qu’il a dû penser en tout cas !) et un premier assistant – expérimenté aussi ! – Olivier Jacquet.

Et il y a beaucoup à apporter à un metteur en scène n’ayant pas d’expérience de tournage ?

AL : Oui, absolument. Nous avons travaillé sur le découpage en amont pendant deux mois, et l’avons appliqué aux décors que nous avons retenus après les repérages. Il y a eu pas mal de décors différents dans des lieux différents : Marrakech, Casablanca, Marseille, Paris, et du studio dans l’école de cinéma de Marrakech. Le budget n’était pas énorme, car c’était un premier film. C’était très intéressant car Mohammed n’a peut-être pas beaucoup d’expérience mais c’est quelqu’un qui apprend très très vite. Au bout de deux semaines, on avait l’impression qu’il avait fait ça toute sa vie !

Le découpage est spécifique ?

AL : C’est un découpage assez direct, assez simple pour pouvoir se concentrer sur la mise en scène. Mon travail a consisté à faire un cadre, une lumière juste pour ce film, à ne pas trop styliser l’image pour ne pas sortir du sujet. L’histoire du film est un peu celle du metteur en scène, sa redécouverte du pays, et j’avais ce souci de ne pas mettre l’image en avant.

Quels ont été vos choix pour éclairer ?

AL : Pour les nuits, j’ai essayé de recréer ce que j’ai vu en lumière naturelle, de rester proche de la réalité. Les intérieurs voiture en extérieur nuit dans le désert, par exemple, sont tournés sans lumière, ce sont des plans tournés à l’épaule, très rapidement. Je me suis simplement servi des phares de voiture. Sans l’Alexa, je n’aurais pas pu les faire. On a toujours des regrets quant à l’argentique mais le numérique nous apporte quand même des sensibilités qu’on n’avait pas auparavant.
En intérieur, j’essaye souvent de travailler avec des lampes intégrées aux décors. Je chine beaucoup pour ces lampes qui seront dans le champ, j’y accorde une attention particulière afin de les utiliser pour éclairer vraiment.
Pour les séquences dans les boîtes de nuit, on a travaillé avec des LEDs RVB que Patrick Contesse, mon chef électro, a développées. Cela nous permet de changer les températures comme on veut. Patrick avait développé ça auparavant car dans les boîtes de nuit, on a toujours le même problème, la lumière n’est pas adaptée au film, on n’a pas de hauteur sous plafond, rien pour accrocher…

Ces rubans de LEDs sont intégrés dans des boîtes ?

AL : Non, elles sont agrafées au plafond ! Ces 30 ou 40 m de ruban, sur des variateurs RVB et qui ne pèsent rien, ont été très efficaces avec l’Alexa qui n’a pas besoin de puissance. Finalement, le matériel auquel je pense depuis dix ans, et que je n’ai jamais eu le temps de développer, arrive petit à petit sur le marché. En fait, je cherche toujours à me servir d’autres sources que des gros projecteurs de cinéma.

Vous avez utilisé certaines habitudes d’étalonnage pour ce film ?

AL : Avec Didier Lefouest, nous rentrons le signal en linéaire pour ressortir l’affichage en Log, ce qui nous permet d’avoir une plus grande puissance à l’étalonnage. Nous étions sur le dernier modèle Baselight, qui est une très bonne machine si on a un bon opérateur ! Et puis je fais comme en argentique : bien remplir le négatif, le surexposer un peu et asseoir le positif pour être bien saturé, avoir des noirs bien riches. Il ne faut pas essayer de remonter le signal sinon on fait monter le bruit qui est prêt à bondir !

Vous travaillez beaucoup pour des publicités, n’est-ce pas frustrant de tourner certaines fictions avec moins de moyens ?

AL : Ah non, pas du tout ! Je peux travailler sur un Da Vinci Code ou avec un bout de poly, je suis content ! L’astuce, dans notre métier, est de s’adapter, il ne faut pas essayer de faire au-dessus de ses moyens.Ce film n’avait pas un gros budget mais on a eu finalement ce dont on avait besoin pour le faire. La seule frustration est le manque de temps. On avait juste le temps de tourner les scènes mais pas de se poser de questions ni d’imaginer de tourner la scène différemment.
Grâce à Né quelque part, j’ai renoué avec le cinéma. Je choisis les films sur lesquels je vais travailler car c’est beaucoup d’énergie, et passer six mois de sa vie pour un film auquel on ne croit pas complètement n’est pas satisfaisant. Je souhaite remercier toute l’équipe et la production marocaine qui a été fantastique !

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)