Festival de Cannes 2024

Raphaël Vandenbussche, nous parle de ses choix pour filmer "Eat the Night", de Caroline Poggi et Jonathan Vinel

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Je suis heureux et ému de filmer à nouveau avec Caroline et Jonathan, dix ans après le court métrage Tant qu’il nous reste des fusils à pompe. J’aime leur travail. Eat the Night est fascinant et vertigineux. Car les personnages sont regardés avec tendresse ; et les acteurs dirigés avec goût, talent et justesse. Et humour ! Le film est en sélection à la Quinzaine des Cinéastes. (RV)

Pablo et sa sœur Apolline s’évadent de leur quotidien en jouant à Darknoon, un jeu vidéo qui les a vu grandir. Un jour, Pablo rencontre Night, qu’il initie à ses petits trafics, et s’éloigne d’Apolline. Alors que la fin du jeu s’annonce, les deux garçons provoquent la colère d’une bande rivale...

Le choix d’une petite équipe image est initial. Pour faire corps ensemble. Camille et Arthur - les cœurs - veillaient sur les deux RED. Paul réfléchissait la lumière. Laura m’épaulait et cadrait la caméra B. Et Léna, talentueuse stagiaire machinerie, courait partout.

Une RED Gemini compressée et une RED Komodo nous ont permis de filmer un Havre glacial et coloré en 2,39. Avec une série Cooke S4 et un petit budget. Le challenge était parfois de filmer en champ contre-champ avec les deux RED, le 32 mm et le 40 mm. Le champ contre-champ est une écriture si difficile à maîtriser ; rares sont les films où je trouve que la musique sonne. Mais ici, je suis très satisfait des scènes, grâce à de légers déséquilibres, et des coupes renversantes.

Les acteurs - Lila, Erwan et Théo en particulier - étaient héroïques face au froid et au vent de la Manche. Nuages à la bouche et larmes fraîches sur les joues. Pour ma part, je remercie le Décathlon juste à côté de notre appart hotel Adagio.

Vous le verrez, les décors (Margaux Remaury) sont très beaux. Et la grande force visuelle du film s’incarne dans Darknoon, le jeu vidéo créé par Lucien, Sarah, Caroline, Jonathan, et leurs équipes en postproduction. C’est sublime car Darknoon y devient un support émotionnel inouï, via une image merveilleuse à laquelle les spectateurs de cinéma ne sont pas habitués.

Nous avions bien sûr plusieurs films phares en tête, des musiques et des impressions pour construire les images. L’image guide est une photographie de Tobias Zielony qui m’a donné la peau de l’image et sa couleur. La matière RED était suffisamment souple et idéale pour la saturation que je souhaitais, dans la continuité de l’univers Darknoon. J’ai utilisé une seule LUT, qui était très juste et immédiate. Filmer des tests caméra était trop cher : Arthur et moi avons donc fabriqué une LUT à l’aveugle, à partir d’une image random et de nos intentions de couleur. Et c’était super. J’apprécie cette idée d’une LUT construite un peu mentalement - la table d’orientation d’un paysage encore imaginaire. La LUT est un instrument à plusieurs cordes qui est maintenant au cœur de notre travail de DoP.

La lumière du film est très simple et travaillée avec de petits projecteurs LED (Asteras essentiellement). J’aimais bien l’idée d’éclairer avec des chauffages ou les LEDs orange des interrupteurs de multiprises ! Merci encore à Paul qui est revenu spécialement d’Amérique latine pour le film.
Bref, beaucoup de beaux souvenirs. Et surtout, Caro et Jo assis par terre regardant les moniteurs, concentrés, connectés, emmitouflés et souriants, toujours bienveillants.


Remarque
Je profite de cette tribune auprès des internautes du site AFC pour un appel à l’aide. Je suis en tournage en Asie où les produits Aputure écrasent le marché. Certes, je suis satisfait de pouvoir utiliser leur gamme de projecteurs à petit prix et peu gourmands en électricité, mais je m’interroge sur l’avenir de ces outils, avec une inquiétude grandissante. Le chemin emprunté par les diodes ne semble pas le plus vertueux. Fragiles et rapidement démodés électroniquement, ces produits me semblent similaires à des iPhones jetables tous les trois ans. De la brillance technologique au désastre écocide. Pourrait-on faire pression pour faire imposer des normes puissantes de réemploi et de recyclage ?

(Texte rédigé par Raphaël Vandenbussche pour l’AFC)