Rebonds : Intermittents pris à la gorge

par Joséphine Lacantat-Rice

La Lettre AFC n°157

Nous nous sommes défendus. [...] Nous avons créé un " comité de suivi " regroupant élus, syndicats, coordinations. Cet organe informel, mais représentatif, a rédigé une proposition parlementaire de loi (PPL) : plus de 470 députés ou sénateurs de la majorité comme de l’opposition se sont engagés à la voter si elle était inscrite. Deux ans après, elle ne l’est toujours pas.
Pendant ce temps-là, la réforme s’applique, excluant de nombreux intermittents, dont 21 000 furent " rattrapés " en 2005 par une Allocation de fonds transitoire (AFT) payée par l’Etat afin d’obvier à l’incurie des signataires de l’accord. [...] L’Unedic pouvait ainsi continuer à indemniser mieux ceux qui gagnent le plus et le plus régulièrement. Le " déficit " des annexes 8 et 10 se révèle aujourd’hui être l’argument de façade qu’il a toujours été : Gautier Sauvagnac, négociateur du Medef à l’Unédic, confessait ainsi en décembre : « Le problème, ce n’est pas de réduire le déficit des annexes, mais de réduire le nombre des intermittents. » [...]

Le protocole du 26 juin 2003 fut prorogé en janvier 2006. [...]
Aujourd’hui, les cuisines du paritarisme ont laissé échapper un brouet qui, sous le nom de " Protocole du 18 avril ", circule entre signataires potentiels, et que nul, cuisiniers en tête, ne veut s’aventurer à consommer tel quel.
Le ministre de la culture a enveloppé ce projet de protocole d’un fumet artificiel, inventant un dispositif créant une fausse date anniversaire, une vraie prime à la sortie du système qui serait aux intermittents ce que la " prime de retour au pays " est aux immigrés. [...]

A défaut de voir l’Etat et les collectivités locales se doter des moyens nécessaires à l’accomplissement des politiques culturelles qu’elles ont voulues, ceux-ci laisseront des bureaucrates, des policiers et des juges faire le tri à l’aveugle parmi les compagnies. Nous ne récusons pas les contrôles en soi, mais nous dénonçons cette hypocrisie qui feint d’ignorer qu’en l’état actuel des financements, des lois, des contraintes imposées aux compagnies et aux structures de production, il est tout simplement impossible à qui le souhaite de respecter la loi. [...]

Menacés en permanence par l’épée de Damoclès du contrôle, pris à la gorge par le manque d’heures, incapables de nous repérer dans le maquis des réglementations, nous serons autant de cas particuliers devant les guichets, autant d’entreprises personnelles en concurrence mutuelle, autant de serviteurs zélés des technostructures culturelles.
[...] Nous ne dirons à personne ce qu’il doit faire, et comment le faire pour lutter contre cette Sainte alliance du libéralisme culturel et de la planification bureaucratique. Chacun sait et peut s’organiser comme il l’entend pour le faire. Nous connaissons les plateaux de tournage, les coulisses des théâtres, nous faisons partie des équipes qui y travaillent. Nous savons comment résister. Nous savons nous coordonner. Nous saurons comment le faire savoir.
(Joséphine Lacantat-Rice, coordination nationale des intermittents et précaires, Libération, 19 juillet 2006)