Un rapport critique le choix des films français promus à l’étranger par Unifrance

par Nicole Vulser

Le Monde, 16 mars 2008

Unifrance, l’organisme chargé de " vendre " les films tricolores à l’étranger, est sévèrement critiqué par un rapport commandé par sa tutelle, le ministère des affaires étrangères.

Unifrance éparpille son action, estime ainsi le cabinet de conseil privé Media Consulting Group, et ne soutient pas suffisamment le cinéma français dans les territoires « où il est le plus menacé et là où il a un potentiel important ». En outre, ses actions de promotion (rencontres, festivals...) peinent à mobiliser des acteurs et actrices renommés à l’étranger, et mettent surtout en avant des « films dits d’auteur » au détriment de « films de genre (action, horreur...) », plus populaires, poursuit le cabinet, tout en précisant que le choix des films revient aux distributeurs.

Media Consulting Group relève en outre « des carences dans la gouvernance de l’association », pointant un « déficit dans la fixation des objectifs, critères et indicateurs d’évaluation ». « Faute de bilans et de données chiffrées suffisantes », « l’efficacité réelle » des actions d’Unifrance « en termes d’entrées et de recettes croissantes pour l’ensemble des films français ne peut être attestée », estime le cabinet.
Cet audit au canon devait pourtant être un contrôle de routine : la loi oblige désormais le Quai d’Orsay à évaluer les associations qui bénéficient de sa part d’une subvention de plus de 300 000 euros. C’est le cas d’Unifrance, qui reçoit de ce ministère une subvention annuelle d’environ 900 000 euros, somme qui vient compléter la subvention principale, attribuée par le ministère de la culture : 7 millions d’euros environ provenant du Centre national de la cinématographie.

Productrice et distributrice reconnue et présidente bénévole d’Unifrance depuis cinq ans, Margaret Ménégoz précise que le ministère a commandé « un rapport, et non pas un audit », qui devait non pas se prononcer sur la stratégie de l’association mais vérifier l’attribution des lignes budgétaires prévues dans chacun des pays.

Unifrance réfute donc le texte point par point, dénonçant un « rapport biaisé » réalisé par des "« rapporteurs inaptes », qui, faute de temps et de moyens, ne « sont allés qu’au Mexique et en Russie ». L’organisme a adressé à son ministère de tutelle une réponse baptisée " Erreurs et omissions ", précise sa présidente, en affirmant qu’Unifrance continue de travailler dans des relations de confiance avec le Quai d’Orsay, tant à Paris qu’à l’étranger.

Réserve importante
L’Association des exportateurs de films (ADEF) – qui représente la totalité de ce secteur – a apporté son soutient à Margaret Ménégoz. L’association regrette que les auteurs du rapport n’aient pas interrogé ses membres et émet donc une « réserve importante » sur les conclusions de ce document.

De son côté, le ministère des affaires étrangères a indiqué « examiner les suites éventuelles » à donner à un rapport qui « n’engage pas l’administration » et à la réponse fournie par Unifrance. Depuis la mort, en 2003, du flamboyant président d’Unifrance Daniel Toscan du Plantier, qui aimait à faire voyager les stars françaises dans le monde entier, Margaret Ménégoz revendique une stratégie plus proche des demandes des professionnels, en impliquant davantage les distributeurs de films français hors des frontières.

Elle a notamment essayé de conquérir davantage de marchés, tant en Inde qu’au Vietnam, en jouant, estime-t-elle, à la fois sur le cinéma d’auteur et les films visant un très large public.

Ce rapport intervient alors que la politique culturelle extérieure de la France est en pleine restructuration. Celle-ci est notamment conduite par Cultures France, l’opérateur délégué des ministères des affaires étrangères et de la culture. Son directeur, Olivier Poivre d’Arvor, n’avait guère fait mystère de son intention d’englober Unifrance dans son giron, lors de son audition devant la commission des finances du Sénat, en novembre 2006. Mais cette hypothèse a finalement été écartée.

Contexte tendu
« Je me suis battue pour ne pas être rattachée à Cultures France », concède Mme Ménégoz. Toutefois, certaines cinémathèques viennent d’y être rattachées. Le projet de réduire de quarante à vingt le nombre de postes d’attachés audiovisuels français à l’étranger est, par ailleurs, dans l’air, tout comme celui de fermer la direction de l’audiovisuel du Quai d’Orsay, aujourd’hui dirigée par Richard Boidin. Une partie de cette équipe de quarante personnes a déjà été reclassée chez Cultures France.

Dans ce contexte assez tendu, doublé d’une mésentente avec le directeur général d’Unifrance, Marc Pitton, Margaret Ménégoz a d’ores et déjà fait savoir qu’elle ne demanderait pas le renouvellement de son mandat à la tête d’Unifrance. « C’est un poste bénévole, il est logique de ne pas s’y accrocher et de céder sa place », dit-elle.

La question même des statuts de cette association sera sans doute posée : Unifrance ne peut être présidée que par un producteur ou une productrice en exercice, ce qui n’encourage guère de nouvelles vocations. La prochaine élection est prévue fin juin.

Nicole Vulser, Le Monde, édition du 16 mars 2008.

Messages

  • Ayant pris connaissance des conclusions du rapport rédigé par Média Consulting Group à propos d’Unifrance, mais aussi des remarques inspirées par ce rapport à la direction d’Unifrance (cf. Newsletters des 13 et 14 mars), l’ARP défend Unifrance.

    Si l’ARP ne souhaite pas "prendre part à des polémiques stériles sur des intentions réelles ou cachées du commanditaire de ce rapport et de son rédacteur", elle souhaite cependant rappeler son attachement à Unifrance. "Lieu privilégié de mutualisation, de correction des mécanismes naturels du marché, Unifrance fait une large place à la production indépendante, au cinéma d’auteur, véhiculant ainsi à l’étranger une image de la production cinématographique correspondant aux combats qui, politiquement, structurent l’exception culturelle", soulignent aujourd’hui les réalisateurs.

    Rappelant combien l’association a développé de nouvelles modalités de promotion du cinéma français sur de nouveaux territoires, les réalisateurs s’engagent aujourd’hui à défendre Unifrance "dans les débats à venir, tout en s’attachant à (son) évolution, sa gouvernance, la transparence de sa gestion et la place qu’y tiennent les réalisateurs".