Le projecteur à lentille de Fresnel : remettre l’église au centre du village

Par Marc Galerne, One Stop

Contre-Champ AFC n°356

Maintenant que la technologie LED a exploré toutes les formes, les couleurs, les gadgets possibles pour les panneaux, la tendance est à la course à la puissance des sources ponctuelles. On peut constater une véritable volonté de remplacer des HMI de fortes puissances. Il n’est pas rare d’entendre des inepties de la part de fabricants mais aussi de certains utilisateurs. Après des tests bibliques (« croyez-moi, j’ai la vérité absolue ! »), nous avons pu entendre des comparaisons totalement plausibles si l’on parvient à remettre en cause toutes les lois de la physique.

Un appareil LED de 2,4 kW "Fresnel" deviendrait ainsi une substitution avantageuse à un HMI de 9 kW, voire de 18 kW. En revanche l’encombrement dans un camion est bien égal, et même supérieur, à l’un de ces HMI. Voici donc un petit rappel de ce qu’est un Fresnel et qu’elles en sont les caractéristiques.

Qu’est-ce qu’un projecteur Fresnel ?
Un projecteur Fresnel est un appareil d’éclairage utilisant un système optique comprenant un réflecteur sphérique et une lentille de Fresnel.

Qu’est-ce qu’une lentille de Fresnel ?
Jusqu’en 1822, les phares maritimes utilisaient uniquement des réflecteurs. Les lentilles plan-convexes, qui pouvaient focaliser le faisceau de lumière étaient très lourds. Augustin Fresnel a l’idée de décomposer une lentille plan convexe en anneaux concentriques afin d’en retirer la matière équivalente à des lames à face parallèles – inutiles - et d’en alléger considérablement le poids.
Depuis, la lentille de Fresnel a été employée pour d’autres applications : fours solaires, loupes, et dès le début de la photographie et du cinéma.


Pourquoi la lentille de Fresnel s’est-elle imposée dans la prise de vues ?

L’utilisation de la lentille de Fresnel dans un projecteur est une invention de Louis Cochet, chef électricien de cinéma et principal collaborateur du directeur de la photographie Henri Alekan. Il est le premier à adapter la technologie des lentilles de Fresnel à l’éclairage de cinéma.

De par le déplacement par chariotage de la lampe et du réflecteur, solidaires, par rapport à la lentille, la plage de lumière peut être concentrée, et d’une source ponctuelle aux ombres dures, on obtient une source étendue - des dimensions de la lentille - aux ombres douces.

Outre la possibilité de concentrer la lumière, la Fresnel génère une plage avec un centre plus fort et une chute progressive de l’intensité lumineuse jusqu’au bord. C’est un premier atout car le centre de la plage, plus lumineux, attire l’œil humain. Ainsi en photo, le Fresnel s’est imposé rapidement car il amène l’attention sur le point le plus important. Pour un portrait, ce point d’attraction est le regard : « Les yeux sont le miroir de l’âme », écrivait Cicéron.

L’autre grande qualité d’un projecteur à lentille de Fresnel est la qualité des ombres nettes, similaires à celles générées par le soleil, et la possibilité de les contrôler facilement avec des volets. Le Studio Harcourt, depuis 1933, est le parfait exemple de l’emploi de Fresnel en portrait.


Mais les atouts de la lentille de Fresnel ne s’arrêtent pas au portrait. Les entrées de lumière dans les scènes d’intérieurs avec de la lumière de l’extérieur venant du soleil ou d’une source, sont un premier choix pour les grands opérateurs. Il y a eu une tendance à bouder les Fresnel dans les années 1980 avec l’arrivée des Pars en HMI, qui représentaient une nouveauté et un rapport puissance lumineuse / consommation de loin supérieur au rendement d’un Fresnel. La perfection n’étant pas de ce monde, ces appareils très puissants sont impossibles à contrôler avec des volets et la qualité de la lumière est, avouons-le, médiocre, nécessitant très souvent l’emploi de diffusions. Dans un monde d’économie, les Pars ont été une aubaine : on allait pouvoir arrêter de prendre des 18 kW pour créer des faisceaux entrants, et les remplacer par des Pars 6 kW, voire des 4 kW. Cela peut "faire la blague" si l’on ne voit pas les ombres projetées. Que ce soit avec une lentille nid d’abeille ou un réflecteur à facettes, on obtient des ombres multiples. Alors commence le travail, inutile avec un Fresnel, de masquer ces ombres, aussi disgracieuses qu’illogiques, pour rendre un effet "soleil". Il faut donc diffuser le faisceau pour effacer les ombres multiples puis reculer la source (au risque de se trouver au milieu de la rue) afin d’obtenir une seule ombre un tant soit peu marquée. Lorsque l’on a fait cela, le Par 6 kW est devenu aussi performant en termes de rendement qu’un Fresnel de 6 kW, et en aucun cas équivalent à un 18 kW !

Attention aux contrefaçons !
La lentille de Fresnel ne fait pas forcément un projecteur de type Fresnel, avec les caractéristiques citées précédemment. Il y a des règles optiques à cela qui ne sont que très rarement respectées surtout dans les appareils LED. Il y un ratio taille de la source / taille et focale de la lentille à respecter. Les types de technologies utilisés avant les LEDs n’avaient pas ce problème, les sources étant de petite taille : le filament d’un projecteur à incandescence et l’arc d’un HMI sont petits en comparaisons aux COB qui sont utilisés dans les LEDs au-delà de 300 W. Si la taille de la source est trop grande par rapport à la lentille, la plage perdra toutes ses qualités pour devenir une loupe qui projettera la forme du COB.
Et là, je ne parle pas de certains fabricants chinois qui qualifient leurs appareils de "Fresnel", alors qu’ils utilisent une lentille qui est tout sauf une lentille de Fresnel.


Alors bien sûr, on peut ignorer tout cela et se dire que ce qui est important, c’est le résultat. Que savoir ce qu’est un vrai Fresnel n’est pas important, parce que si l’image vous convient et ravit votre réalisateur et votre producteur, c’est l’essentiel.
Peut-être, peut-être pas.
Peut-être qu’à oublier les fondamentaux, on ouvre un boulevard à tout le monde…
Les youtubeurs ne sont-ils pas réalisateurs, acteurs et chefs op’ ?

Marc Galerne