Festival de Cannes 2024

Michaël Capron évoque son travail sur "Mongrel", de Wei Liang Chiang

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Après avoir intégré le département Image de La Fémis, dont il sort diplômé en 2010, Michaël Capron tourne son sixième long métrage en tant que directeur de la photographie avec Mongrel, de Wei Liang Chiang – coréalisé par You Qiao Yin –, film sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes 2024. Déjà venu sur la Croisette, il a également été directeur de la photographie sur le film de Vincent Le Port, Bruno Reidal, en sélection à la Semaine de la Critique en 2021. (NDLR)

Oom est un travailleur clandestin thaïlandais dans les hauteurs reculées de Taïwan. Celui-ci est le nouvel assistant de confiance de Chang qui dirige une opération de trafic d’êtres humains liées à la prestation de soins dans les zones enclavées de l’île. Parmi ses nombreuses tâches d’homme de main, Oom aide à domicile une vieille dame malade qui vit seule avec un jeune handicapé. Se noue entre eux une relation de confiance bien différente mais empreinte aussi de désespoir. Bientôt Oom va être confronté à un choix difficile et devra choisir son camp.

Prise de contact et partis pris de mise en scène
Nous avons été mis en contact – le réalisateur Wei Liang Chiang et moi-même - par la co-productrice française du film, Marie Dubas, alors que Wei Liang était à la recherche d’un directeur de la photographie pour son projet à Taïwan. J’étais à ce moment-là en pleine préparation d’un long métrage à Bogota mais à la lecture du scénario j’avais été impressionné par la qualité d’écriture et la teneur du propos pour un premier long métrage. J’ai immédiatement répondu présent. Je me souviens que nous avons beaucoup échangé sur des cinéastes de cœur et la délicate question de représenter les laissés pour compte et la souffrance à l’écran. Je me rappelle avoir évoqué le travail de Pedro Costa et le rapport à la dignité dans la souffrance.

Malgré le scénario complexe entremêlant la trajectoire des personnages pris dans un engrenage, le parti pris de la mise en scène a été la dédramatisation. En termes d’image, cela s’est traduit par le recours au plan fixe accordant à chacune des scènes la juste distance traduite aussi par le positionnement de la caméra à une certaine hauteur. Wei Liang, très méticuleux sur la composition du cadre, s’est tourné vers le 4/3 en privilégiant bien souvent un agencement qui centre les corps, mettant en jeu le principe centripète du cadre.

Les arrière-plans dans les intérieurs sont généralement des murs aveugles ou de petites fenêtres aux rideaux tirés. Quand nous voulions davantage de recul, la caméra se retrouvait dans une autre pièce et nous filmions à travers l’encadrement des portes. Même à l’extérieur, Oom est la plupart du temps comme emprisonné par un travail de surcadrage (embrasures de porte, couloirs...) ou bien traverse des espaces sans perspectives, s’avançant dans la brume.

Le choix des décors a d’ailleurs été déterminant et source à de nombreuses discussions avec l’équipe déco. L’enjeu était double, trouver les habitations intérieures qui conviendraient à l’histoire et pour les scènes extérieures, mais aussi qu’aucune lumière directe du soleil ne parvienne jusque-là. Les chaînes escarpées de montagnes situées sur le flanc est de l’île offraient la météo adaptée à l’humeur du film. L’accès à ces zones enclavées n’en était pas moins difficile étant donné que les sommets atteignent vite 2 000 mètres d’altitude et vont parfois à plus de 3 000 mètres.

Choix techniques
D’un point de vue technique, on a prolongé cette direction en utilisant des diaphragmes plutôt ouverts, rendant l’atmosphère plus vaporeuse. Cette faible profondeur de champ permettait également d’isoler les personnages de leur environnement.

La lumière a aussi été travaillée dans ce sens-là, qu’elle soit diffuse ou en réflexion dehors au-dessus des fenêtres par un système de "casquette" avec des bounces. Avec le chef électricien taïwanais, Liu Chen Wei, on redirigeait la lumière à l’intérieur avec différentes qualités de réflecteurs. La lumière choisie, souvent très faible pour nos ambiances nocturnes, les décors et les figures devenaient comme des lueurs. Pour certaines scènes, je me rappelle n’avoir quasiment aucune donnée sur ma cellule.

Nous avons tourné en Arri Alexa Mini, en RAW, dans la perspective de s’écarter du rendu parfois chirurgical du numérique. L’utilisation de la série Zeiss GO nous a permis aussi d’aller dans cette direction. Il nous fallait une série sans trop d’aberrations, ni trop marquée vintage. Plutôt ronde tout en restant sobre et compacte, cette série favorisait le travail dans les sous-expositions et la dimension crépusculaire et sombre du film.

Nous avons réglé la caméra à 2 000 ISO et souvent travaillé autour de 1,8 ou 2 de diaph dans les scènes nocturnes. La combinaison de ces paramètres contribuait à ramener davantage de fragilité à l’image.

Concernant nos sources, on s’est tourné plutôt vers des éclairages traditionnels, HMI ou tungstène, on a préféré avoir recours aux gélatines de couleurs plutôt qu’obtenir des teintes via DMX qui finalement offrent moins de richesse et de subtilités.
Nous avons fait des essais avec Yeh Tzu Wei, la cheffe décoratrice taïwanaise, ainsi que le gaffer sur place, dans certains décors avec plusieurs échantillons de gélatines de couleur, l’idée étant de mettre en commun nos recherches préparatoires et de se familiariser sur ce que pourraient être les grandes lignes esthétiques du projet. C’était aussi pour nous une manière plus directe d’échanger autour d’images concrètes étant donné que je ne parlais pas le mandarin, contrairement au reste de l’équipe. L’une des couleurs sur laquelle nous avons pas mal réfléchi concernait le faisceau que devait renvoyer un radiateur à filament incandescent rotatif. Celui-ci constituait un élément important du scénario qui marquait rythmiquement, comme un témoin impassible, par ses allers et retours, les scènes difficiles de la mort de May.

Challenge
Parmi les scènes délicates que nous avons eu à tourner, je me souviens en particulier du plan dans lequel Oom se fait rouer de coups par son patron Chang. Pour ce plan tourné aux dernières lueurs du jour, la caméra était placée à l’intérieur face à une porte qui laissait découvrir le personnage sortant par le seuil et descendant des marches sous une pluie battante après qu’une ambulance quittait la cour. Le réglage des déplacements et des actions successives demandait pas mal de répétitions pour être tout à fait prêts à tourner deux à trois prises maximum à l’heure juste et équilibrer la lumière intérieure à mesure que le jour baissait dehors. L’espace découpé à travers la porte dans la profondeur renvoyait la scène du passage à tabac de Oom au second plan, en marge du visible comme au bord de disparaître.

Je tiens à remercier chaleureusement toute l’équipe singapourienne et taïwanaise qui se sont montrés formidables et passionnés et ce, malgré l’incertitude qui pèse sur l’avenir de Taïwan. Un grand merci également à Clément Hervouet.

(Les intertitres sont de la rédaction)